Une fois n'est pas coutume, en deux parties. Au début, une brève note de lecture sur le livre, après le PS, un début de réflexion sur ce choix comme programme scolaire.


I-


Lecture claquée rapidement ce matin, pour le taf, après quelques recherches bio-bibliographiques sur Olympe de Gouges que je connais très mal et dont c'est le premier écrit que je parcours.


Philosophiquement c'est un bordel sans nom qui est presque gênant à lire parfois tant il est empreint de naïveté, dans les idées comme dans le style, et j'ai rarement lu un ouvrage s'intéressant au fondement des lois être aussi incapable de se positionner clairement sur ce qui cimente leur légitimité : on vous convoquera ainsi tour à tour les idées de nature (avec un appel aux animaux et aux végétaux parfaitement risible quand il s'agit de définir les règles du divorce contractuel), de raison, de débat consensuel puis d'autoritarisme coercitif, tout en faisant mine de penser que ces éléments contradictoires entre eux s'articulent harmonieusement parce que parceque.


Au-delà du pastiche volontaire de la Déclaration de 1791 qui souffrait déjà des mêmes défauts – comme toute une partie de la pensée positivo-légaliste des années 1770-90 –, les rares apports concrets qu'elle propose d'elle-même, sans grande originalité, sont complètement inapplicables, arbitraires, en plus d'être foireux. Son cheval de bataille, c'est la division des capitaux au sein des couples contractuellement liés pour permettre une répartition équitable des biens en cas de divorce et lors de la succession ; mais elle définit des parts réservataires aux enfants, qu'il est interdit d'abandonner même en cas de naissance adultérine, qui mettent toutes les clés entre les mains des femmes, puisqu'a priori ce sont elles qui enfantent. En gros le fait de faire des gamins est une tirelire, mais en même temps la femme doit prendre part à toutes les activités politiques et commerciales. Les sexes sont parfaitement égaux et symétriques sauf que la femme est un peu plus égale grâce au surcroît de courage que représente l'accouchement. Et tout le bouquin est blindé de conneries incohérentes et mal rédigées du même acabit.


Le pompon restera peut-être une tentative de démonstration qui se prend complètement les pieds dans le tapis, où la brave Olympe explique que la société a contraint la femme à la ruse et à faire la pute pour jouer un rôle politique, tout en s'illustrant par une interprétation vague et essentialisante de...l'Ancien Testament.


Le bouquin s'achève magnifiquement sur une anecdote personnelle au cours de laquelle la Courge nous raconte l'altercation qui l'a opposée à un taxi et à un flic municipal, et qui lui fera conclure que quand même sous l'Ancien Régime on se faisait moins voler dans les carrioles.


Cimer.


II-


PS : derrière la qualité littéraire et philosophique exécrable du texte se pose une question politique plus intéressante en contexte. Je suis enseignant de français en lycée, la Déclaration est un des textes pouvant être étudié dans le cadre du programme consacré à la littérature d'idées, aux côté de Rabelais et de La Bruyère. Adorant ces deux derniers, je savais d'emblée que je ne choisirai pas Olympe de Gouges, mais je tenais à faire ce choix en connaissance de cause.


Je m'interroge sur la sélection par l'institution d'un texte dont le présupposé philosophique est celui d'un nationalisme, au sens original du terme, particulièrement agressif, où la confusion constante entre pouvoir exécutif et pouvoir législatif est entretenue et désirée, où la Loi est posé comme un absolu coercitif devant être imposé par la force, où un bien commun vague et abstrait, faussement holistique, d'une « nation » jamais vraiment définie dans ses bornes et ses constituants, doit l'emporter sur la liberté individuelle. Le tout sur la base d'un consensus brumeux qui doit être a priori débattu, par qui, quand, sous quelle égide, sous les règles autoritaires en contexte de la bien mal nommée Assemblée Nationale.


Je m'interroge sur la sélection par l'institution d'un texte qui ne sait pas envisager l'action politique autrement que comme la mise en coupe réglée du pouvoir par une élite économique urbaine dont l'oisiveté est entretenue par l'exploitation des autres.


Prosaïquement, je suis en train de me prendre la tête pour rien : le programme insiste dans l'intitulé du parcours associé sur la notion naïve de lutte contre l'inégalité et les enseignants qui choisiront ce livre auront probablement du mal à tirer beaucoup plus de leurs élèves que des commentaires consensuels sur le fait que brimer les femmes et les noirs ce n'est pas bien, ce qui est une évidence triviale.


Mais derrière ce genre de livres se dessinent des valeurs tout de même particulières qu'il faut questionner. Est-ce que personnellement, en tant qu'agent de l'état, j'appelle à ce genre de modèle philosophique et je souhaite participer même de loin à modeler mes élèves dans cette direction ? Je réponds que non. Derrière le classicisme apparent du programme choisi, des œuvres proposées ont pu avoir quelque chose de réellement subversif en elles-mêmes qu'il était important de proposer à nos élèves pour les entraîner à ce regard de biais : La Fontaine, Montaigne, Montesquieu, Stendhal, Lagarce, Molière, Beaumarchais et j'en passe.


Ici, on se place, comme avec le choix de Clèves, dans une réduction des problèmes de la société à des questions de fausse morale qui a quelque chose de douteux.

S_Gauthier
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le 15 juil. 2021

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