"And the public know what all schoolchildren learn : Those to whom evil is done do evil in return."

Il est bien difficile au premier abord de trouver des liens de parenté entre "Tinker Tailor Soldier Spy" (ou "La Taupe") et sa suite "The Honourable Schoolboy" (ou "Comme un collégien").
Ce dernier se présente pourtant dès ses premières pages comme la suite directe de ce qui est peut-être aujourd'hui le chef d'œuvre du roman d'espionnage du XXème siècle. Nous y retrouvons le Cirque dans un état particulièrement délabré après le passage de la taupe, et George Smiley se retrouve à devoir ramasser les débris pour remettre le navire à flot. Entreprise désespérée au possible : la Couronne a quelques réticences (compréhensibles) à investir dans un service dont l'intégralité des secrets a été éventée au profit des Russes.


En tant que vainqueur de la taupe, Smiley s'est imposé à nos yeux comme l'idéal du personnage ne cédant à l'adversité. Monolithe inébranlable du contre-espionnage britannique, homme d'action au sens de celui possédant un désir bien décidé.
Du moins c'est ce que l'on pourrait affirmer, si l'on en restait à la surface de ce qui est appelé un "roman d'espionnage".


Car George Smiley au-delà de ses exploits est avant tout un espion vieillissant, bedonnant, en proie au doute sur le bien-fondé de ses convictions. Si le fantôme de sa femme, la nébuleuse Ann Smiley, hantait chacune de ses réflexions dans sa précédente quête, "The Honourable Schoolboy" tire un trait radical sur le passé dès ses premières pages en faisant purement et simplement disparaître ce pan de la vie de Smiley. Décidé à remonter la piste de Karla et à éliminer celui qui l'ébranla jusque dans ses fondements, Smiley repart dans les archives de la période "d'avant la chute", pour trouver de quoi détruire sa Némésis. Une affaire de transfert d'argent à Hong Kong semble présenter assez d'importance à ses yeux, au vu du soin qui a été mis par la taupe pour la dissimuler. C'est envers l'avis d'une administration sceptique que Smiley enverra son homme de main Jerry Westerby, déjà croisé auparavant, enquêter en Extrême-Orient.


Et si l'on donne régulièrement le beau rôle à Smiley lorsqu'il s'agit d'évoquer le talent d'écriture de John le Carré, ce serait mentir que d'affirmer qu'il est le seul point d'intérêt de ce livre. Ce dernier va se révéler être bien plus que "la suite de la Taupe".


Oui, "The Honourable Schoolboy" va, au-delà de ce que l'on pourrait imaginer, se révéler être une entreprise bien plus ambitieuse que son prédécesseur. Là où ce dernier se présentait comme une froide quête intellectuelle aux circonvolutions sinueuses dans le passé, son successeur va tout au contraire s'imposer comme une aventure chaotique et baroque, une fuite en avant dont l'éminent symbole est son héros Jerry Westerby.
Tandis qu'en Angleterre se débattent les éléments les plus excentriques du Cirque (de l'arthritique et alcoolique Connie Sachs jusqu'au fougueux Peter Guillam), en Extrême-Orient tâtonne le plus paradoxal des agents de sa Majesté. Le collégien du titre se présente comme l'exemple typique du fauve indomptable.
Refusant tout à la fois l'héritage de son père, grand lord anglais, et les conditions de travail du journalisme d'investigation classique, il exerce à ses moments perdus la profession d'agent secret. Mais nous ne sommes pas ici aux prises avec la froideur opérationnelle ou la rigidité morale des gens de la trempe de Smiley. Jerry est un électron libre, tête brûlée et improvisateur de talent, trompant sans cesse la mort par un mélange de chance insensée et de romantisme débridé. Loin de se situer dans le sillage de celles de Smiley, les péripéties de Jerry formeront au contraire un voyage trépidant et dépaysant.


L'amour des grandes idées, et son interprétation dans les actes, a toujours été un thème fort chez le Carré. "The Honourable Schoolboy", du haut de ses 670 pages, est un festival de trajectoires de vie fascinantes et de fortes personnalités. Car contrairement aux romans où les personnages fonctionnent selon un système rationnel de valeurs d'où se déduisent presque mécaniquement leurs réactions, ici les personnages fonctionnent par impulsions, incertitudes, et autres "irrationalités" les rendant au contraire bien plus humains.
Au-delà de l'intrigue en elle-même, c'est surtout pour ses moments de grâce éphémère que l'on apprécie l'écriture de le Carré. C'est au milieu de la froideur des opérations, de l'action concrète et de la raison d'état, que peut surgir pour quelques lignes les états d'âme des agents concernés. Des âmes solitaires qui ne cherchent qu'à trouver un moyen de combler leur manque, que cela soit dans les passions passagères, les errances sans fin ou les idéaux romantiques.


Et c'est en quelque sorte tout ce à quoi l'on ne s'attend pas dans un roman d'espionnage. Un délicieux paradoxe pour celui qui saura l'apprécier.

Mellow-Yellow
7
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le 14 nov. 2018

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