Etre quitté, c’est comme être chassé du Royaume des cieux.

Avec cette précision : il faut être abandonné par un être pour lequel on se tord d’amour, sinon, ça ne marche pas.

Sauf qu’en fait !

… on n’aimerait que ça n’ait pas marché, que l’autre ne se soit pas éloigné. Ou plutôt, qu’il ne nous ait pas éloigné.

Etre quitté, c’est comme être chassé du Royaume de dieu.

Nul besoin d’être croyant.e, on mesure tous ce que cela signifie : royaume, hauteur, bonheur, divin. Jouissance


Voilà ce que raconte Sylvia Hansel dans son dernier ouvrage. «Bulle de Savon», son conte mythologique à elle.

«Bulle de Savon». Le titre ne nous la fait pas à l’envers : dès le premier instant, la narratrice n’y croit pas. Pas trop. Elle ne parie pas sur l’éternité de cet… instant, donc, de félicité qu’est sa première rencontre avec lui.

Lui, si beau, si beau, si… vraiment, je peux ? Vous êtes sûrs que..? Elle ne va pas miser un paquet de nèfles sur un ad vitam æternam de ces premières heures bavardes et doucement enivrées qui ont suivi dans on ne sait quel estaminet des 2000’s qui fleurait bon le rock’n’roll adolescent, et les longues heures d’amour qui ont pris le relais. Ce mec est incroyable, ce mec est magique.

Ça fait beaucoup pour seulement 24 heures et ça, Sylvia Hansel le raconte avec brio.


Sa plume vole littéralement durant tout le livre. Elle nous captive, elle nous fait glisser sur le toboggan de ses émotions-minutes à tel point que l’on veut sauter des lignes pour savoir ce qu’il va se passer. Et pourtant on connait le coupable, dès le début. « Bulle de Savon » n’est pas un whodunit, c’est un « Colombo ! »

Il va s’en passer des choses ! Pas « La guerre des Roses », mais pas loin, avec une seule Rose. Rise, Fall, Rise, Rise and Fall : War. Ça commence par un traité d’alliance franco-britannique, ça finit en bataille de Poitiers : «Garde-toi à droite, chéri, de cette pétasse qui lui fait du gringue.» On est du côté de la fille, elle est la Hardie, et lui est l’antagoniste. Le texte file , on veut savoir : il a fait quoi ? Il a osé quoi ? Comment elle a réagi ? Ce bouquin est une GTI : rapide, économe.


Elle veut plus, il espère moins


En 2005, environ, la jeune amoureuse du livre brûle son quart de siècle en carburant à tout. En 2022, l’auteure Hansel carbure à l’économie de mots et de détail : ils arrivent quand on en a besoin, on est pas chez Théophile Gauthier.

C’est la force de ce bouquin : dieu que c’est court et bon pour raconter l’éternel jeu amoureux (il est aussi question de court rhétorique un peu littéral… Vous verrez bien). C’est une écriture sèche, de quelqu’un qui a vécu suffisamment d’adversité pour ne pas perdre son temps avec des falbalas. Chez Hansel, ça file tellement qu’on croirait entendre Joe Strummer qui expliquait pourquoi écrire des chansons de deux minutes. «Parce que le public n’a pas que ça à faire !»

Je vous assure que si vous menez une vie de punk rocker, la biblio de Sylvia Hansel est pour vous.


Pour introduire son histoire qui finit mal, Hansel convoque Pacôme Thiellement. L’écrivain français – qui a fait redécouvrir le gnosticisme à ses contemporain.es – a écrit cette phrase : «Dans toute histoire naissante, ont sait toujours tout, absolument tout, dès le premier rendez vous…» Ce n’est pas ça qui a chagriné l’auteure qui possède un caractère bien trempé, qu’on imagine un peu susceptible (lisez ses précédents livres), c’est ce qui a suivi : «… mais on ne veut pas savoir qu’on sait…».

Ben voyons…

Alors oui, à la suite de la citation, après un «MOUAIS..» bien senti, Sylvia Hansel confie que l’auteur de «Tu m’as donné de la crasse et j’en ai fait de l’or» d’où est extraite la fâcheuse saillie, a bien raison, qu’elle n’a pas voulu voir.

Alors, elle va nous raconter ces mois, de doutes, de joutes, d’aveuglement. C’est l’histoire d’un jeune couple, de soirées chez des ami.es, en concert, en bars, des lieux vite décrits, mais avec l’amour de celle qui y a traîné ses boots. C’est le conte d’un duo amoureux qui chancelle sur les bords de la vie au quotidien et ne s’apaise qu’au centre qu’incarne la chambre avec un lit et des draps qui sentent bon l’autre. Mais l’autre, ce mec, n’est pas toujours lisible. Elle veut plus, il espère moins, elle escompte davantage, il fait l’exégèse du statu quo. La jalousie lui ronge le cœur. C’est la guerre. C’est la rupture.

Hansel décrit alors un empilement de jours intenses à 100% boostés de bien et de mal (de bide, de jalousie), de mots doux et de maux (de tête, de jalousie). Cette vie de prolétaire parigote venue de la Moselle, qui doit bosser 8 heures en plus de dépérir, va s’achever par son expulsion des cieux vers les bas ténèbres.

Ensuite, elle ne fera que chercher à retourner dans son « Paradis perdu ».


Trop près de sa rancœur



Hansel, artiste rock, amoureuse de Joni Mitchell, évoque John Milton, c’est un beau télescopage.

Depuis «Le Héros au Mille et Un Visages», de Campbell, nous savons que les mythes sont les mêmes partout et tout le temps sur la Terre. En voilà un exemple.

Nous suivons le personnage de «Bulle de savon» comme Lucifer dans «Le Paradis perdu». Ils défient l’être suprême, celui qu’ils ont placé au centre de leur cœur. Le connard. Pauvres fous, ils osent demander davantage. Les voilà condamnés à l’exil. Envoyés au fond du Gouffre, ils noient leur chagrin. Puis ils se relèvent et cherchent la sortie. Ils la trouvent et tentent de pénétrer au Jardin d’Eden, ce nouveau lieu que lui a créé pour se distraire après leur bannissement. Ce n’est pas le Royaume des Cieux, mais c’est mieux que rien, c’est comme si on était proche de lui. Lucifer va passer sa colère en se transformant en serpent… Vous connaissez la suite. Elle, le cœur desséché, ne sera pas loin du reptile en passant sa colère vengeresse sur tous les lourdingues qui naviguent trop près de sa rancœur, de soirées avinées en matin sur des canapés d’ami.es fidèles (qui vont la sauver). Les crachats et les gnions voleront. Et les désillusions. Elle se fera méchante, menaçante, suppliante.

Puis elle déposera les armes.


Les jours passeront, et les mois. La jeune femme va se reconstruire en tentant de comprendre quelle était la morale de toute cette affaire. «Morale», «conclusion», trouvez le mot qui vous convient. Les dernières pages s’achèvent dans un final doux amer. Elle est passée à autre chose. Fini tout-ça. Maintenant, elle en rigole. Lui est devenu ça. Ça continue sûrement de disperser des cadavres autour de lui. Mais elle peut regarder ça en face, mettre la main dans les flammes, même pas mal.



Il y un mot qui raconte ce passage à l’âge de raison, à la toute fin du livre : son «Compagnon». C’est le mot raisonnable et raisonné employé alors qu’elle évoque son emménagement avec lui. « Compagnon » : c’est bien, c’est très bien, même, mais nous voilà aspiré dans l’ivresse de notre jeunesse. Mélancolique. C’est un très beau roman.



PS. Pour celles et ceux qui voudront lire d’autres romans de Sylvia Hansel, je conseille, en 2018, «Les adultes n’existent pas». « Bulle de Savon » semble lui répondre

Olivier-R
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le 15 mars 2023

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Olivier R /

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