Brasiers
6.6
Brasiers

livre de Derek NIKITAS ()

Premier roman de l'Américain Derek Nikitas, Brasiers est un roman qui mêle réalité brutale et mythologie scandinave. Dans un monde violent et désespéré, la quête salutaire des personnages devient une longue descente aux enfers. À eux d'apprendre à se reconstruire sur les cendres de leurs illusions.


Lucia Moberg, une ado au look gothique surnommée « Lou », tente de briser la banalité de son quotidien en chapardant des CDs pour ses copines dans le centre commercial du coin. Un jour, après s'être fait repérer en plein vol à l'étalage, elle presse son père qui l'avait accompagnée afin de rentrer chez eux au plus vite. Le drame qui survient sur le parking va traumatiser la jeune fille, mais ce n'est pour elle que le début du cauchemar. Elle devra faire face à perte de son père, tout en assumant sa mère qui sombre dans la dépression, avant d'être confrontée à des individus dangereux. Parallèlement à l'histoire de Lou, nous suivons le quotidien de Tanya, ancienne droguée et prostituée, qui est aujourd'hui enceinte et vit dans une caravane avec son compagnon.


Je ne savais pas très bien à quoi m'attendre avec ce roman, dont la quatrième de couverture présentait un résumé succinct, sinon à un énième thriller au sens classique du terme. Pourtant, je fus quelque peu surprise par la tournure des événements, car le roman s'attarde plus particulièrement sur sa galerie de personnages et sur son analyse psychologique développée, plutôt que sur l'enquête qui passe rapidement au second plan. Les protagonistes, notamment féminins puisque centraux dans le récit, sont à la fois complexes, attachants, mais surtout réalistes. Pas d'enquêteurs caricaturaux aux qualités intellectuelles sans failles, pas d'adolescents benêts sans personnalité, non. Nous avons là trois femmes, trois parcours, et beaucoup de points communs malgré tout. Trois destins qui vont pourtant se percuter suite à des décisions malheureuses. Il y a bien sûr Lou, adolescente à la carrure frêle qui, sous ses allures de rebelles, cache un tempérament sensible et un attrait pour les contes suédois qui ont bercé son enfance. Bousculée par les événements, elle est brutalement plongée dans le monde des adultes. Puis vient Greta, une inspectrice dont le quotidien se résume à ses enquêtes, au détriment de sa vie familiale. Et enfin Tanya, une jeune femme enceinte paumée qui mène une existence difficile au côté de son compagnon, Mason, un homme violent et autoritaire qui cherche à faire ses preuves dans un gang de bikers. C'est par le biais de cet univers que surgit la violence dans le quotidien de nos trois « héroïnes », une violence sans concession qui dépeint la noirceur du monde, et ce jusque dans les dernières lignes du récit.



Il était une fois l’enfer. Lucia allait apprendre à souhaiter que la vie puisse se dérouler plus qu’« une fois ». Peut-être qu’alors l’histoire de sa famille s’améliorerait à chaque récit. Peut-être qu’alors elle pourrait en éliminer les passages sombres, comme faisait son Papa, assis près de son lit sur un tabouret d’enfant qui l’obligeait à se voûter, quand il lui lisait des contes de fées suédois. Il censurait souvent la brutalité de ces fables, éludait tout ce qui pouvait provoquer des cauchemars. L’essentiel, c’est ce qui est bon, ma puce.



Sur fond d'enquête, les événements tragiques s'enchaînent et les personnages se retrouvent rapidement démunis. Le récit initiatique prend rapidement le pas sur le thriller et le drame qui se joue devant nos yeux. En effet, ce n'est pas tant le suspense qui a de l'importance ici, l'intrigue étant au premier abord plutôt classique, mais plutôt le chemin emprunté par tous ces personnages qui les entraîne dans une spirale infernale. Oubliez les descriptions classiques d'une enquête, ici c'est l'alternance des points de vue et la narration qui nous permet de comprendre les tenants et les aboutissants de l'histoire. D'autant que l'intrigue est traversée à maintes reprises par de nombreuses références à la mythologie nordique et à ses contes (dieux, lutins et autres créatures étranges qui peuplent les légendes), permettant l'intrusion de l'irrationnel poétique dans la trame dramatique. Une double lecture est alors nécessaire tout au long du récit, des événements anodins puis majeurs pouvant être considérés comme simples hallucinations ou protection magique à l'orée du fantastique dans la quête initiatique des personnages.


Si vous aimez les thrillers classiques, passez votre chemin. Car malgré quelques défauts, Brasiers est un livre atypique à haute teneur psychologique, entre le conte suédois, le récit initiatique et le roman noir. Et s'il n'est pas inoubliable, il offre un bon moment de lecture qui sort un peu des sentiers battus et dont la sentence finale, loin d'être manichéenne, semblera bien cruelle pour certains.

BillyMay
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le 8 mars 2018

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