Le féminisme peut avoir du bon lorsqu’il entreprend de démonter les mécanismes de la manipulation par lesquels le marché tente d’instrumentaliser les femmes. La preuve avec le dernier ouvrage de Mona Chollet, réquisitoire très documenté contre les milieux de la mode et la manière dont le capitalisme recourt au corps féminin pour faire son beurre. Tout en reconnaissant leurs spécificités (un certain sens du détail et de la beauté ainsi qu’« un rapport au monde plus riche et plus juste que le rapport dominant »), l’auteur regrette qu’on veuille cantonner les femmes dans un « rôle de récréation visuelle et de stimulant libidinal ». Les fashionistas décervelées – elle parle à leur propos du « triomphe des otaries » – constituent un archétype voulu par une certaine aristocratie du show-business dont le but est de réifier la femme pour des raisons mercantiles.
Dans le viseur de Mona Chollet : les blogueuses prescriptrices de mode, forme suprême de « l’aliénation participative » ; la nostalgie tendancieuse d’une partie du public américain (à travers les séries télévisées) pour les années cinquante, époque de "backlash" pour la condition féminine ; la chirurgie esthétique et la criminalisation de la pilosité ; les féministes hypocrites comme Elisabeth Badinter, liée à des grandes firmes industrielles ; les régimes tyranniques (« Le yoga fait rêver, les laxatifs moins ») ; Karl Lagerfeld et sa haine insidieuse du corps féminin ; le racisme des milieux de la mode à l’égard des femmes de couleur ; la complaisance des élites françaises durant les affaires Strauss-Kahn et Polanski ; les "green feminists", ces féministes écologistes qui veulent ramener la femme au foyer au nom du bien de l’environnement ; les "mommyrexics" qui voudraient pouvoir conjuguer maternité et anorexie ; l’association Ni Putes Ni Soumises qu’elle voit comme « l’alliance délectable d’un bonnet phrygien et d’un sac Hello Kitty »…
Il y a donc à boire et à manger chez Mona Chollet mais l’ensemble recèle de très bonnes pages, comme celles où elle évoque la dictature psychologique de « la lumière d’ascenseur faussement neutre qui baigne notre univers, […] qui est à la fois celle d’un supermarché et celle d’un laboratoire, […] éclairage impitoyable [qui] nous incite à nous montrer aussi impitoyables que lui ». De même lorsqu’elle relève que, la femme étant culturellement liée à la corporéité, la haine du corps qu’encourage l’univers de la mode finira par faire naître chez elle une forme d’auto-misogynie.