Beauté fatale
7.9
Beauté fatale

livre de Mona Chollet (2012)

Le féminisme peut avoir du bon lorsqu’il entreprend de démonter les mécanismes de la manipulation par lesquels le marché tente d’instrumentaliser les femmes. La preuve avec le dernier ouvrage de Mona Chollet, réquisitoire très documenté contre les milieux de la mode et la manière dont le capitalisme recourt au corps féminin pour faire son beurre. Tout en reconnaissant leurs spécificités (un certain sens du détail et de la beauté ainsi qu’« un rapport au monde plus riche et plus juste que le rapport dominant »), l’auteur regrette qu’on veuille cantonner les femmes dans un « rôle de récréation visuelle et de stimulant libidinal ». Les fashionistas décervelées – elle parle à leur propos du « triomphe des otaries » – constituent un archétype voulu par une certaine aristocratie du show-business dont le but est de réifier la femme pour des raisons mercantiles.


Dans le viseur de Mona Chollet : les blogueuses prescriptrices de mode, forme suprême de « l’aliénation participative » ; la nostalgie tendancieuse d’une partie du public américain (à travers les séries télévisées) pour les années cinquante, époque de "backlash" pour la condition féminine ; la chirurgie esthétique et la criminalisation de la pilosité ; les féministes hypocrites comme Elisabeth Badinter, liée à des grandes firmes industrielles ; les régimes tyranniques (« Le yoga fait rêver, les laxatifs moins ») ; Karl Lagerfeld et sa haine insidieuse du corps féminin ; le racisme des milieux de la mode à l’égard des femmes de couleur ; la complaisance des élites françaises durant les affaires Strauss-Kahn et Polanski ; les "green feminists", ces féministes écologistes qui veulent ramener la femme au foyer au nom du bien de l’environnement ; les "mommyrexics" qui voudraient pouvoir conjuguer maternité et anorexie ; l’association Ni Putes Ni Soumises qu’elle voit comme « l’alliance délectable d’un bonnet phrygien et d’un sac Hello Kitty »…


Il y a donc à boire et à manger chez Mona Chollet mais l’ensemble recèle de très bonnes pages, comme celles où elle évoque la dictature psychologique de « la lumière d’ascenseur faussement neutre qui baigne notre univers, […] qui est à la fois celle d’un supermarché et celle d’un laboratoire, […] éclairage impitoyable [qui] nous incite à nous montrer aussi impitoyables que lui ». De même lorsqu’elle relève que, la femme étant culturellement liée à la corporéité, la haine du corps qu’encourage l’univers de la mode finira par faire naître chez elle une forme d’auto-misogynie.

David_L_Epée
7
Écrit par

Créée

le 17 nov. 2015

Critique lue 658 fois

2 j'aime

David_L_Epée

Écrit par

Critique lue 658 fois

2

D'autres avis sur Beauté fatale

Beauté fatale
ladymarlene
5

Aliénation ? Faut voir....

Je mets une honnête moyenne à "beauté fatale" car je considère que c'est le genre de livre à lire. Mais quelle condescendance ! Quel mépris ! Quel ton moralisateur et donneur de leçons chez Mona...

le 21 nov. 2013

15 j'aime

10

Beauté fatale
Ju-lit
8

Beauté Fatale ou l'art de savoir prendre du recul

Et quand je parle de recul, c'est également vis à vis de l'essai de Mona Chollet. En effet, si Mme Chollet soulève ici la problématique intéressante féminité/mode/marketing, le lecteur a intérêt à...

le 3 août 2015

13 j'aime

Beauté fatale
DieLorelei
10

Après ça, vous ne verrez plus jamais "ELLE" de la même façon

Essai que je viens de finir et que je vais prendre longtemps à digérer tant il m'a ouvert les yeux sur l'industrie de la beauté et l'aliénation de la femme qui en résulte.. Même si j'avais déjà pris...

le 12 juil. 2015

10 j'aime

1

Du même critique

La Chambre interdite
David_L_Epée
9

Du film rêvé au rêve filmé

Dans un récent ouvrage (Les théories du cinéma depuis 1945, Armand Colin, 2015), Francesco Casetti expliquait qu’un film, en soi, était une création très proche d’un rêve : même caractère visuel,...

le 20 oct. 2015

32 j'aime

Les Filles au Moyen Âge
David_L_Epée
8

Au temps des saintes, des princesses et des sorcières

Le deuxième long métrage d’Hubert Viel apparaît à la croisée de tant de chemins différents qu’il en devient tout bonnement inclassable. Et pourtant, la richesse et l’éclectisme des influences...

le 6 janv. 2016

20 j'aime

1

I Am Not a Witch
David_L_Epée
6

La petite sorcière embobinée

Il est difficile pour un Occidental de réaliser un film critique sur les structures traditionnelles des sociétés africaines sans qu’on le soupçonne aussitôt de velléités néocolonialistes. Aussi, la...

le 24 août 2017

14 j'aime