Métaphysique du questionnement

Après avoir pris une grande claque suite à la lecture du roman Isolation , j'avais vraiment hâte de voir ce que proposait ce bonhomme dans un format plus court : les nouvelles. L'écrivain Australien nous propose ici un recueil d'une vingtaine de nouvelles, chacune d'une trentaine de pages environ, abordant une multitude de thèmes allant des manipulations génétiques, au changement de corps/sexe à volonté, en passant par les univers multiples en décalage (....), et, bien sûr, tous ces thèmes amènent un abondance de questions autant éthiques que métaphysiques ou morales.

Ce qu'il y a de bien avec Egan, c'est qu'il connait très bien les technologies/ théories scientifiques qu'il décrit et utilise dans ces nouvelles (et romans aussi, d'ailleurs), il les connait même trop bien. La décision de mettre L'assassin infini en tant que première nouvelle me laisse assez dubitatif, vu la difficulté à l'appréhender lors de la première lecture, qui m'a même refroidi quant à la suite des nouvelles de ce recueil. Mais ce doute s'est vite dissipé lors de la suite de la lecture notamment grâce à la nouvelle Eugène , qui, après avoir démontré la vanité des loteries, pousse jusqu'au bout l’idée d'eugénisme (rappelant Bienvenue à Gattaca d'Andrew Niccol) avec la création d'un enfant "parfait" (dans tous les sens du terme)...

D'autres nouvelles du recueil sortent du lot dont Le Ptit-Migon, ou Axiomatique, qui questionne nos réalités morales, potentiellement modifiables grâce à des implants, et les implications qu'ont ses implants quant aux actions que nous réalisons par la suite... La nouvelle La Marche est aussi une perle du genre, questionnant nos perceptions face à la mort et leurs changement avec un implant..

Cependant, là où Greg Egan se démarque de tous les autres écrivains de sa génération, c'est par ses questionnements profonds sur la conscience, et la réalité de la Réalité. A quel point sommes-nous nous ? Si on remplace 1% de notre cerveau toutes les semaines par un équivalent technologique (qui est un copier/coller des 1% enlevés), au bout de combien de % est-ce que l'on n'est plus nous ?

Y-a t'il un seuil critique où l'on bascule ?

Mais on bascule vers quoi ?

On devient qui ?

Comment savoir ce que pense une personne ?

A quel point connait-on une personne ?

Comment notre vision du monde est elle définie ? En fonction du corps dans laquelle elle est ?

Comment résoudre le problème posé par le solipsisme ?
C'est ce genre de questions qu'il réussit à traiter (pas à répondre, mais à donner des pistes (et encore ...)) en utilisant une sorte de doute cartésien, notamment dans les nouvelles Plus près de toi, En apprenant à être moi, L'Enlèvement, Le point de vue du plafond ...

Au final, on a un recueil assez hétéroclite, contenant des pépites telles que Plus près de toi, Eugène, ou encore La Marche, et d'autres nouvelles plus oubliables, telles L'assassin infini, ou encore Soeurs de Sang.

Je finirais avec une citation de Plus près de toi, résumant une bonne partie des questionnements de G. Egan :

La question qui m'obsédait plutôt était la suivante : en supposant que les autres personnes existaient, comment appréhendaient-elles cette existence ? Comment ressentaient-elles le fait d'être ? Pourrais-je jamais vraiment comprendre ce qu'était l'expérience de la conscience pour quelqu'un d'autre ?