Les grecs ont Ulysse, les anglais ont Robin des Bois, de par nos contrées nous avons Les Trois Mousquetaires. En chine, ils ont les 108 brigands, composés des 36 astres célestes et des 72 astres terrestres.


Au Bord de l'Eau est un des 4 piliers fondateurs de la littérature chinoise, rien de moins, avec "l'Histoire des Trois royaumes", "le Voyage en Occident" et "le Rêve dans le Pavillon rouge", vous y trouverez tout dedans, pour peu que la culture orientale ait su déjà vous toucher par quelque moyen que ce soit, ces pages recèlent de par leur récit passionnant, les germes de cette arborescence merveilleuse et gigantesque de toute la mythologie chinoise. Et... et bref. Tout ça, c'est aussi écrit sur Wikipédia j'imagine. Parlons un peu du livre en lui même. Des deux livres à vrai dire.


Je parlais de Robin des Bois ou des Trois Mousquetaires, et c'est avec une passion grandissante qu'on suit ici le soulèvement progressif d'une armée de brigands, bandits, voleurs plus ou moins talentueux, tueurs, généraux déchus, soldats errants, bonze perdu et autres personnages hauts en charisme contre une dynastie rongée par la corruption. Et du charisme il y en a, car même si 108 peut paraître démesuré pour ce qui est de l'attachement aux personnages, c'est pourtant avec la lourdeur d'un abandon difficile qu'on les quitte tous en fermant le second tome. Chacun y occupe une place spécifique, plus ou moins valeureuse, plus ou moins importante, plus ou moins haute, mais toujours marquante, faisant de l'armée de Song Jiang une multitude de visages marqués et burinés par les valeurs, le courage, la fourberie, la vertu, la ruse, la joie de vivre et la douleur, la lâcheté passagère et le combat téméraire, faisant face comme chaque partie d'un seul homme à l'oppressante Dynastie Song.


Alors dit comme ça, forcément, ça n'avance pas à grand chose, on reste dans du résumé approximatif d'un bouquin de 2000 pages. Et ce n'est représentatif en rien de ce qu'il est.


La lecture de ce livre est tout simplement enivrante, vous propulsant dans des univers imagés qui ont pour certains bâti une partie de votre enfance, de vos émotions cinématographiques ou de votre sensibilité artistique. Ou qui s'occuperont d'en bâtir une nouvelle branche.


Quand vous lisez Au Bord de L'Eau, vous retrouvez cet art si "pur" (j'ai pas trouvé d'autre mot plus juste) du vide et du plein picturaux, et ces plans si chers au cinéma chinois, aux teintes brunâtres de bois ouvragés de tripots souillés et tavernes obscures teinté des rayons diaphanes d'un soleil caressant de sa patte inspirée les chaudes architectures. Ces marécages vaseux et colorés de roseaux ondulants, chantant la brise et fredonnant les eaux. Vous retrouvez les opéras romancés et balais majestueux aux arrières goûts de légendes savoureuses, tant fascinantes qu'attirantes, d'un art de vivre et d'une leçon d'exception sur la pluralité des plaisirs de la vie suivant les circonstances.
Quand vous lisez ce bouquin, bien que purement chinois, vous revoyez le visage de Toshiro Mifune, acteur fétiche d'Akira Kurosawa dans ses éclats de rires virulents et ses hurlement de rage et courage à la puissance d'une dizaine de taureaux. Vous revoyez le visage mortellement placide de Tatsuya Nakadai expriment sa rancoeur dans un contre jour de fusain. Et vous revoyez aussi les Yuen Woo-Ping et Liu Chia-Liang dans leurs chorégraphies endiablées au court de conflits d'hommes ivres ou de batailles dantesques.
Quand vous lisez ce livre, vous plongez dans une peinture chinoise au bambou, à l'encre et à l'eau, dans le vide et le plein, vous découvrez les roseaux au premier plan, puis la légère cascade à peine esquissée juste derrière, semblant déjà se perdre dans les brumes matinales irisées. Alors votre regard d'abandonne encore d'avantage dans le paysage et vous vous prenez à partir au delà, vers ce temple et cette pagode tout juste suggérés de quelques lignes griffées et quelques ombres imbibées et au delà, par delà le brouillard d'un blanc laiteux, et encore haut delà, furetant, attiré par cette tendre brise aux senteurs de rosée, puis soudainement la puissante main d'un bonze bourru et jovial vous attrape par le col pour vous inviter aussi violemment que cordialement à partager un bon verre d'alcool de riz dans une taverne aussi miteuse qu'accueillante. Dès lors, vous êtes un 109ème personnage du livre, et vous ne le quitterez que lorsque vous saurez ce que sont devenus les 108 autres.


Au cours de multiples batailles et get-apens, mauvais tours et actes héroïques, un soulèvement d'une poignée d'hommes aux distinctions fort disparates pour une des histoires les plus belles, profondes, savoureuses et épiques qu'il m'ait été données de lire.


Ce livre est un immense tableau en noir et blanc, tracé du bout du pinceau, esquissé du bout du bambou, prenant vie dans un explosif pictural exceptionnel.

zombiraptor
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le 6 févr. 2013

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zombiraptor

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