Apologie
6.4
Apologie

livre de Apulée ()

Magie matrimoniale au IIe siècle.

L’auteur antique du célèbre roman « L’Âne d’Or ou les Métamorphoses », livre encore disponible en librairie de nos jours, a connu une vie d’intellectuel aventureux. Né à Madaura (Mdaourouch, Algérie actuelle) vers 125, fils de famille aisée, il étudie la rhétorique à Carthage, puis à Athènes, où il complète son instruction par la philosophie. Curieux du monde de la magie et des mystères religieux, il se fait initier à la plupart des mystères connus dans le monde romain, sectes porteuses d’une promesse d’immortalité et de révélations fondamentales (Chapitres LV-LVI). Il étudie ensuite toutes les sciences de son temps.

Connu comme orateur et comme écrivain, c’est à Oea (Tripoli) qu’il lui arrive une aventure fâcheuse, dont cette Apologie (plaidoyer pour lui-même) est le fruit. Apulée y est accusé d’avoir employé la magie pour séduire une riche veuve, Pudentilla.

Plaidant pour sa propre cause, Apulée se défend brillamment. Il faut dire que la liste des accusations portées contre lui est impressionnante de stupidité, qu’il n’a aucun mal à les démonter l’une après l’autre, et qu’il a bien préparé son coup, en prévenant les objections et en se procurant de précieux documents bien utiles pour sa défense.

L’indigence des accusations portées contre Apulée vaut le détour : on lui reproche de savoir aussi bien le grec que le latin (de fait, Apulée cite fréquemment des phrases en grec, langue commune du bassin méditerranéen – imagine-t-on aujourd’hui un plaideur français citer des phrases entières en anglais devant le tribunal sans que quelqu’un proteste ?), d’avoir composé des poésies légères, de se regarder dans un miroir, d’avoir affranchi trois esclaves, d’être pauvre, d’être né en Afrique… On est consterné par des chefs d’accusation aussi débiles.

Par contre, Apulée est obligé de se défendre plus âprement de l’accusation de magie. Ce qui est embêtant pour lui, c’est qu’il était déjà célèbre comme magicien, et que cette réputation lui est restée jusqu’à nos jours. Il réfute donc pied à pied tous les supposés rites magiques qu’il aurait pratiqués pour séduire la veuve : collectionner certains poissons (mais c’est pour faire de la zoologie !), faire tomber à distance un enfant (mais il était épileptique !), utiliser un mouchoir rempli de charges magiques, fabrication d’une statuette de Mercure en bois précieux...

L’intérêt de ce document est multiple ; d’abord, les plaidoyers pro domo (pour soi-même) ne sont pas légion dans l’Antiquité. Celui de Cicéron, qui a donné son nom au genre, constitue l’exception majeure. Il faut donc qu’Apulée convainque le juge de sa bonne foi sans gonfler son propre ego, ce qui ferait mauvais effet. Il y parvient : il dissimule ses préoccupations personnelles derrière un brillant rideau de fumée de références érudites (littérature et philosophie), ce qui donne un fort éclat culturel à sa personnalité devant le jury, tout en gommant ce que son propre caractère peut avoir de singulier, et qui donnerait prise à la critique.

On ne saurait trop insister sur l’ampleur de la culture d’Apulée, au vrai fort étendue. Son habileté de rhétoricien la présente avec ampleur et élégance (voir un condensé ludique de la réfutation de ses accusations au chapitre CIII), mais on ne saurait non plus se cacher qu’Apulée est plus un érudit touche-à-tout, brillant causeur, qu’un penseur profond. Cela ne l’empêche pas de se prévaloir du titre de philosophe, héritier de Platon et d’Aristote (excusez du peu – chapitre LXIV), ce qui prouve au moins que le titre de philosophe attirait vers lui l’estime et le respect, sinon Apulée n’aurait pas insisté là-dessus.

Intéressant documentaire sur la magie antique (pages 30 à 60), sur l’ichtyologie (pages 40 à 51).

En fait, le mariage d’Apulée avec la veuve gênait ses accusateurs parce que l’un d’entre eux aurait bien voulu épouser la veuve à sa place pour des raisons d’argent. Apulée démonte toute la machination. On ne connaît pas le résultat du procès, mais Apulée n’a pas l’air d’avoir été beaucoup perturbé dans la suite de son parcours.

La sûreté de ton d’Apulée, la richesse de ses références, l’apparente franchise de ses confidences sur les pratiques de la magie donnent à ce plaidoyer un agrément de lecture que n’ont pas, il s’en faut de beaucoup, les discours judiciaires portant sur des affaires plus délicates. Ses voyages, l’étonnante légèreté avec laquelle il cumule les initiations mystiques, rafraîchissent l’esprit en notre époque, plus obscure que jamais en raison de l’affrontement entre les fanatismes religieux et anti-religieux. Aucun des deux, visiblement, n’est en mesure de satisfaire les aspirations intimes de l’homme.
khorsabad
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le 26 janv. 2013

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