Antimanuel pour une philosophie pédagogique et utile

Un livre extrêmement bien construit, utile, effectivement à contre-courant des manuels standardisés mis à disposition des lycéens, sans toutefois jamais s’éloigner de son objectif essentiel : enseigner la philosophie. Elle servira non seulement au lycéen désireux de réussir son baccalauréat (des méthodes de rédaction sont même proposées en annexes de l’ouvrage), mais aussi, éventuellement, pour la vie.
Pourquoi « antimanuel » ? Parce que dans son livre, Michel Onfray déconstruit les méthodes conventionnelles d’enseignement de la philosophie ; mais c’est pour mieux reconstruire une nouvelle voie, plus efficace, et non pas simplement pour les détruire. Pour aboutir à un résultat identique, sinon meilleur. J’ai trouvé cette démarche à la fois parfaitement justifiée et utile.

Étant déjà passé par la tant redoutée épreuve de philosophie il y a maintenant plusieurs années, je me suis pourtant surpris à apprécier ce livre que j’ai trouvé à la fois très pédagogique et parfaitement structuré. Cela se ressent à chaque page : Onfray aime transmettre à la jeune génération, et assurément, il a dû être apprécié par ses élèves. On le sent passionné par sa discipline, rigoureux tout en étant attentionné et en ayant de l’humour ; bref, les qualités essentielles d’un très bon professeur. Ce que je n’avais pas eu la chance d’avoir en classe de terminal, pour dire le moins, alors que je m’intéressais fortement à la philosophie.
C’est clairement un livre que je recommanderais à un lycéen pour non seulement lui faire apprécier la matière, mais aussi le faire progresser intellectuellement. Car, et c’est ce que j’y ai tout particulièrement apprécié, c’est avant tout un livre qui invite à la réflexion.
L’auteur pose des questions qui pourraient être illisibles dans un manuel conventionnel du lycée (par exemple, « pourquoi ne pas vous masturber dans la cour du lycée ? »), étant politiquement incorrectes. Des questions pratiques qu’au fond pourtant chacun pourrait se poser, et qui finalement ont fait ou feraient l’objet de nombreux débats (pour la question précédente, avec la philosophie des Cyniques grecs, ou avec les interdits culturels et religieux). En ce sens, des textes pertinents d’une bonne vingtaine de penseurs sont mis à disposition du lecteur pour lui proposer des sources d’inspiration et de réflexion, plus encore que pour illustrer la pensée avancée par l’auteur. Je connaissais d’ailleurs mal, voire pas du tout certains philosophes ; autre qualité appréciable de l’ouvrage, Onfray donne envie de les lire. Pour un même thème, les textes proposés peuvent être contradictoires (par exemple, sur la question de la vérité, entre la morale catégorique de Kant et la pensée plus nuancée du bien plus méconnu Theodor Adorno), ce qui invite habilement à réfléchir.

Bien que dans sa conclusion, l’auteur ne se prétende pas parfaitement objectif, comme selon lui toute pensée philosophique (c’est ainsi et ce n’est pas un mal en soi), je l’ai tout de même trouvé dénué de tout jugement moral sur les auteurs qu’il cite. Je pense justement à Kant, où Onfray nous invite non pas à blâmer sa morale, mais bien davantage à la connaître et à subtilement la remettre en question.

Bien sûr, la perfection n’existe pas, surtout quand il s’agit du travail des autres : j’ai quelques petites réserves. Je pense par exemple au chapitre sur l’Art où je me suis trouvé être en désaccord fondamental sur certains points avec l’auteur.
Mais c’est aussi bien ainsi : ce désaccord m’a poussé à réfléchir. Et la réflexion n’est certainement pas une perte de temps en soi. C’est donc, à mon avis, un très bon livre que je vous conseille. Et en particulier aux lycéens abordant les cours de philosophie, hélas trop souvent mal enseignés.