Andalousie
Andalousie

livre de Joseph Perez (2018)

Joseph Perez est un ancien directeur de la Casa de Velazquez, institut français en Espagne, et ça se sent. Son érudition est à la fois précise et efficace : il ne se perd pas dans les détails et renvoie les approfondissements aux notes de fin d'ouvrage.


Parmi les quelques critiques que je peux faire à cet ouvrage : ne pas avoir inclus de carte de l'Andalousie, et avoir choisi des notes de fin d'ouvrage plutôt que de bas de page. Ha, et manquer d'illustrations, mais bon.


L'ouvrage suit un plan en trois parties, à première vue centré sur les trois principales villes qui incarnent l'Andalousie : Grenade, Séville et Cordoue. Cependant ce plan géographique n'est qu'un prétexte, et le plan est en réalité thématique :


La partie sur Grenade, en partant de l'Alhambra, dresse en réalité une chronologie de l'engouement romantique pour l'Espagne andalouse à partir du XVIIIe siècle, qui est une forme d'orientalisme : l'Espagne, au XIXe, est un Orient proche.


La partie sur Séville se consacre à trois symboles de l'Andalousie : la corrida, le flamenco et les Gitans. Avec un fait sociologique étonnant : si la corrida et le rapport aux Gitans était au départ un fait aristocratique, il a été abandonné à la populace, comme symbole de rejet de la volonté madrilène centrale de moderniser l'Espagne. Ce faisant, il a été singé par l'aristocratie. On a donc un exemple rare de culture "populaire" reprise par la noblesse.
Il est aussi intéressant de voir que l'idée d'une identité espagnole autre qu'européenne, plus métissée et canaille, est d'abord développée par des auteurs européens (pas tant Mérimée que des Anglais comme Richard Ford et George Borrow. Elle est ensuite exaltée par des artistes comme Garcia Lorca ou Manuel de Falla, qui sont accusés, malgré leur talent, d'avoir contribué à enfermer l'Espagne dans une identité de carte postale.


La dernière partie, sur Cordoue, est la plus longue, et se consacre à la question d'Al-Andalous dans l'identité espagnole. Elle démonte un certain nombre de raccourcis :
- Non, les Xe-XIIe siècles dans l'Espagne maure ne furent pas ceux d'un Etat multiculturel tolérant. Les minorités chrétiennes et juives n'étaient pas converties de force mais avaient un statut inférieur et des signes qui permettaient de les reconnaître. Moins qu'un Etat multiculturel, Al-Andalous fut marqué par le communautarisme, chaque communauté religieuse vivant côte à côte et s'administrant par les responsables qui faisaient le lien avec les autorités.
- Non, les Espagnols n'ont pas revendiqué l'héritage musulman. La prise de Grenade a été célébrée partout en Europe et en Espagne, et il y eut un effort pour gommer ce qui restait d'islamique. Il y eut un retour vers cet héritage, idéalisé par les humanistes, par réaction au national-catholicisme de Franco.
- Non, les mudéjars, ces musulmans qui restèrent après la Reconquista, ne furent pas une grande influence dans l'identité espagnole. Ne serait-ce que parce les "rois catholiques" (titre conféré par le Pape après la prise de Grenade) menèrent une politique d'assimilation, qui ne fut certes pas efficace mais gomma les particularités musulmanes. Et parce que le pouvoir persécuta ses minorités après la Reconquista, les mudéjars étant accusés d'être des alliés du luthérianisme et d'autres menaces extérieures.


Un ouvrage d'historien, donc un ouvrage frustrant mais nécessaire, qui se confronte aux mythes en leur opposant ce que disent les sources. A noter que les questions de communautarisme/multiculturalisme sont parfois traitées sous un angle qui renvoie parfois, de manière troublante, à notre actualité. Mais je ne sais pas si c'est une qualité.

zardoz6704
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le 11 sept. 2022

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