Amérique
7.6
Amérique

livre de Jean Baudrillard (1988)

Baudrillard cherche « l’Amérique sidérale », celle de la liberté vaine et absolue des freeways, jamais celle du social, des individus et d’une quelconque culture, jamais celle de l’Amérique profonde et jamais celle des mœurs et des mentalités. Aux interactions sociales il préfère l’espace, la vitesse désertique, les motels vides où les téléviseurs sont toujours allumés, la surface minérale des buildings et le flux continuel des automobiles. Dans son Amérique tout semble vide d’humain. À New York, il ne croise que des spectres, des gens seuls qui marchent seuls qui mangent seuls et écoutent de la musique qu’ils sont seuls à entendre (c’est le fameux Walkman). Même le Marathon et ses dix-sept mille participants n’est qu’un assemblage de solitudes, une sorte de suicide qui fait mine d’être collectif. Dans cette ville chacun semble vivre dans son propre couloir virtuel et seuls les fous, junkies, alcooliques et autres punks, conservent quelque chose du sens commun. Les fous, les punks et les Rappers. Les Rappers sont des types qui effectuent un genre de gymnastique, une sorte de prouesse acrobatique au coin des rues. À la fin de leur danse, ils se figent le coude au sol, la tête nonchalamment appuyée au creux de la main comme s'ils prenaient la pose indolente de leur propre mort. Si New York est amoureuse de sa verticalité (les fameux buildings), Los Angeles est amoureuse de son horizontalité sans limites. On y trouve des joggers qui courent droit devant eux comme enveloppés par la tonalité des leurs Walkman, indifférents au sacrifice solitaire de leur propre énergie : « Les primitifs désespérés se suicidaient en nageant au large jusqu’au bout de leurs forces, le jogger se suicide en faisant des allers et retours sur le rivage. ». La seule détresse comparable à celle de l’homme qui court seul est celle de l’homme qui mange seul debout en plein cœur d'une ville où personne ne se regarde. Downtown un homme déguisé avec un bec des plumes et une cagoule jaune pourrait circuler sur les trottoirs sans que quiconque ne le regarde. Regarder un autre c’est encourir le risque d’une demande insupportable d’affection. Baudrillard fait lui aussi semblant de ne pas voir ce qui forme « société ». Bref, il passe à côté de l’homme (l’homme américain générique), de sa violence somnambulique et de son air fantomal. Il préfère les nuages, l’espace (l’espace c’est la culture américaine). Les plus belles pages, et elles sont fort belles, magnifiques même, sont consacrées au désert et à la Vallée de la mort. Tout y est dit. Les rochers, le sable, les cristaux, les cailloux sont éternels. Ils sont loin de la corruption du corps qui s’achève, de la « transition du corps vers l’inexistence charnelle ». Le désert est au-delà de la phase maudite de la pourriture, de la phase humide du corps, de l’organique. Tout cela est bien éloigné de l’homme, et on se demande si ce n’est pas mieux ainsi.

raoulle
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le 22 oct. 2022

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