Americana
6.9
Americana

livre de Don DeLillo (1971)

Americana est un roman à la structure complexe, un de ces livres qui veulent être "un grand roman américain", ce qui fait que j'ai différé 6 mois d'en faire un compte-rendu. Il a été écrit en 1971, c'est le premier roman de l'auteur. Il est écrit à la première personne.


C'est un roman qui suit un cadre supérieur dans le milieu bien moisi de la télévision américaine des années 1970. Il veut décrocher de son existence superficielle, où chacun se sert de l'autre, mais sans pouvoir réellement s'y arracher. Prétextant de tourner un reportage sur les Indiens d'Arizona, il s'arrête dans une ville de l'Utha et tourne avec des amateurs des saynettes qui sont autobiographiques de manière détournée. Il se sépare des tempéraments hauts en couleur qui l'accompagnaient : Pike, le mercenaire bravache ; Brand, le romancier fumeux ; Sullivan, belle femme artiste hors du moule. Il poursuit son errance jusqu'à Phoenix, puis rentre au bercail. Une ellipse, en début de dernière partie, suggère qu'il mène désormais une vie ascétique et a poursuivi son travail de fiction autobiographique.


Au niveau formel, c'est un livre très stimulant, généreux et brillant. Les conversations oiseuses rapportées sonnent vraies, les gens parlent par raccourci et se comprennent quand même, avec cette gouaille pragmatique américaine.
Le roman repose beaucoup sur les différents personnages que David rencontre, mais chacun n'est qu'un reflet de sa propre introspection. C'est donc assez difficile à suivre, il y a un côté heurté, qui se veut spontané, qui rappellera les films de Cassavetes et Godard, dont Delillo est fan. L'auteur aime introduire des ruptures de ton, des ellipses, des dialogues lapidaires, des extraits de lettres. Le héros se heurte à un grand nombre de personnages, comme entraperçus, et qui lui resteront foncièrement extérieurs. Pour autant, la narration se tient bien. C'est la densité des associations d'idées, la richesse des réflexions sur chaque page, qui frappe et donne au roman un aspect vériste, bienque derrière se cache un propos sur la vacuité de la société de consommation, l'insatisfaction qu'elle crée et les difficultés de communiquer.


Il y a ces phases lapidaires d'auto-analyse que j'aime bien "Je n'avais à la vérité aucun problème, sentimental ou autre, à lui raconter. Mon seul problème, c'était que ma vie entière constituait une leçon sur les échos, du fait que je vivais à la troisième personne. Il m'aurait été difficile de le lui expliquer".


"P. 332 : "être Noir, c'est être acteur. être blanc, c'est être critique".
Je pourrais mutliplier les citations, mais je vais en rester là.


Synopsis du livre (pour moi-même) :
Première partie. Le roman commence comme un mélange entre Mad Men et American Psycho. David Belle travaille dans la publicité pour un network new-yorkais dirigé par Weede Denney. Au travail, dans les réceptions, il mène une existence superficielle et consumériste qu'il tente de dépasser en affichant un cynisme pragmatique, calculateur, typiquement new-yorkais. Il a une compagne-trophée, B. G. Haines. Sportif, ses références sont Burt Lancaster et Krik Douglas. Dans un milieu concurrentiel, il refuse de se laisser manger, observe les coucheries au boulot. Dans une soirée, il croise Sullivan, sculpteuse libérée. Il lui propose de l'accompagner s'il tourne un reportage au Kansas. Il reçoit des messages anticapitalistes, envoyés par un mystérieux correspondant qu'il surnomme Trotski. Il recroise Wendy Judd, un ancien flirt. Il retrace en pensée sa rencontre avec sa première femme, Meredith Walker. Leur installation à New York, leurs rêves d'artistes peu originaux, qui s'affadissent à mesure que David fait carrière. Les premières tromperies, la rupture, deux appartements séparés dans le même immeuble. Retour au présent : David rencontre Pike, un caméraman vétéran (flanqué d'une jeunette illuminée, Jack) que lui a recommandé Sullivan pour son projet de road-trip. Il rentre et éprouve le besoin d'aller parler à son ex-femme, même si leur conversation est pleine de faux-semblants. Ils couchent ensemble ("C'était la 21e fois que nous faisions l'amour depuis 5 ans que nous étions divorcés"). Le lendemain, meeting avec Weede Denney, avec notamment T. Warburton, homme cultivé et malade. Un collaborateur, Walter Faye, se fait démolir pour avoir des idées trop originales. David pousse son idée de reportage sur les Indiens d'Arizona. Il apprend la fin annoncé de son programme-phare, Soliloque. Des bruits de plans de départ circulent, des têtes tombent. David retourne s'ennuyer dans son bureau, improvise un pentacle avec des trombones et des crayons. Il déjeune avec son père, un battant sur la cinquantaine tardive. Il prend un appel de Warren Beastly, animateur radio déjanté, qui l'invite à son mariage, puis un autre de Wendy Judd, qui en a après lui. Il accepte un dîner avec elle, mais part tôt et rejoint Sullivan. Elle n'est pas là, il s'endort chez elle. Scène suivante : David est sur la route, dans sa mustang, avec Pike et Sullivan. Ils s'arrêtent chez Brand, un écrivain raté qui vit chez sa tante. Brand prête son camping-car et se joint à eux. Il appelle sa secrétaire et a confirmation d'un grand coup de balai dans le network.


Deuxième partie. Il s'agit d'un flashback sur l'enfance de David à Old Holly, banlieue de New York. Les tentatives de draguer Kathy, la fille du shériff, avec son ami Tommy Valerio. Les chamailleries avec sa mère, qui invente des adages de Jésus. L'unviersité Leighton Gage, l'amitié avec le lettré Leonard Zajac, la découverte de Coltrane. Simmons Saint-Jean, le mentor concernant la technique du cinéma. La disparition de Zajac, après qu'une fille superficielle qu'il aime ait couché avec un autre étudiant, Ken Wild. La vie quotidienne avec le père. Le conformisme, les clubs. Brad Dennis, un jeune homme très croyant défenseur de sainte Dymphna. L'amitié avec sa soeur Mary, brillante, qui décide de partir avec un mafioso. Agonie de sa mère, d'un cancer du col de l'utérus. Le père a des pulsions autodestructrices, qui ne dure pas. David suit les cours de poésie anglaise d'Hiroshi Ho. Ambiance de fin de promo, avant le début de la vie professionnelle. Dernière fête dans la maison. Récit d'un des derniers jours avant la mort de sa mère.
Troisième partie. Retour sur la route. David précise son projet : le reportage sur les Indiens peut attendre. Il veut s'arrêter dans une ville du Middle West, film des rushes, tourner avec des locaux, faire un court-métrage indé. Il décide de s'arrêter à Fort Curtis, Utah et arpente les rues avec sa Canon Scoopic 16 mm et son magnéto. Il attire des badauds : un vieillard, Hutchins, et un jeune, Glenn Yost junior, puis un jeune, Richard Spector, qui va à pied en Californie, puis Austin Wakely et Carol Deming, qui font du théâtre. Ils se proposent comme acteurs. Au téléphone, David apprend la mort de Ted Warburton. Dans un bar, il interviewe l'actrice, Carol. Il s'endort en écoutant une tirade antisystème de Warren Beastly. Il réserve une chambre à l'hôtel et la prépare. Il y film Austin Wakely avec un effet de miroir. Il appelle Binky (sa secrétaire) et Meredith, puis son père, dont il obtient une anecdote morbide sur la guerre du Pacifique, puis Simmons Saint-Jean, Tommy Valerio. Il essaie de serrer Carol, mais elle refuse son invitation au restaurant. Le lendemain, il filme Glenn Yost junior au gymnase. Il écrit la suite pendant deux jours. Il va à Chicago rendre visite à une cousine de Meredith, Edwina, avec qui il couche dans un motel. Elle mène une vie misérablement ennuyeuse mais se tient aux convenances. Il retrouve Ken Wild, devenu consultant pour le gouvernement et obsédé par l'argent. Il se réveille bourré, avec des signes de s'être battu dans le bar. Il retourne sur le tournage. Il filme un téléviseur avec Glenn Yost lisant un texte sur la publicité. Il avoue à sa secrétaire qu'il n'est pas sur le tournage du reportage. Il fait ensuite tourner Carol. Elle prononce un monologue. Austin Wakely en filme un, une sorte d'interview où il joue le rôle de David parlant de son parcours artistique. Il barbouille les murs de la chambre de l'hôtel d'un long texte, et film Glenn Yost en train de le lire. C'est un souvenir fantasmé de son père pendant la guerre du Pacifique. Il finit par un plan d'Austin et Carol discutant de l'avenir de leur couple. Puis une scène de dialogue abscons au lit, où Brand remplace Yost. Brand décide de rentrer, avoue que son grand roman ne fait que quatre pages. David filme une conclusion censée se passer en 1999 avec Austin Wakeley. Il parle de son film avec Drotty, le directeur du théâtre local. Il prend quelques plans dans la cuisine des Yost. ça ne se passe pas très bien. Il couche avec Sullivan, qui est témoin de son désarroi. Elle lui raconte une histoire qui lui est arrivée en Irlande. Au réveil, Sullivan lui explique que tout le monde rentre dans le Maine et l'invite à faire de même. Il fait mine de se battre avec Pike. Il prend son barda et part de son côté.


Quatrième partie. On est bien plus tard. David vit désormais comme un ermite. Il a un film complet. En flashback, on apprend qu'il fut, après sa séparation avec le groupe, recueilli par Clevenger, un vieux Texan au volant d'une vieille Cadillac. Ils parlent de cul en taillant la route jusqu'à Phoenix. Il rejoint un groupe de Blancs qui vivent avec les Indiens. Il croise Jill, une jeune de 17 ans, adepte de la masturbation, "plus pure" et suit les préceptes de L'homme-qui-rétrécit, le visionnaire à l'origine du groupe. Il repart avec Clevenger. Ils écoutent des trucs allumés à la radio. Ils rejoignent des mecs en train de se saoûler au bord d'un circuit d'essai. Baisent des Mexicaines. Ecoeuré, David part avec un manchot arrivé en Studebaker, dont il repousse les avances. Il rentre à New York en avion.

zardoz6704
9
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le 12 févr. 2017

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