Les souvenirs que Murakami évoque au sujet de son père, bien qu'annoncés comme « des instants du quotidien ordinaires » ne le sont évidemment pas. Car dès le premier souvenir, il se passe quelque chose d'extraordinaire. Datés de 1955, ces évocations sont fortement marquées par la deuxième guerre mondiale. Le fait d'être né au mauvais moment fera également participer le père à la guerre contre la Chine. D'une une grande douceur de ton, ponctué par les très belles illustrations de Emiliano Ponzi, le livre est une immersion dans la culture japonaise ; les noms propres, les fêtes, les proverbes, les haïkus... Les annotations de la traductrice sont très pertinentes.
Le souvenir est comparé à un vieux film noir et blanc.
Murakami, avec son style limpide et posé nous propose une vision du Japon , à la fois parcellaire et générale, triviale et poétique. C'est avant tout le portrait psychologique de son père, parfois basé sur des faits, parfois supposé, qui décrit bien la grande pudeur du personnage ; l'auteur porte un regard plutôt élogieux, exprimant les traits essentiels de son caractère et les éléments qui l'ont constitué. Son parcours de vie est également narré. Jamais Murakami n'a évoqué les guerres dans ses fictions ; ici, il opère une réflexion lucide, notamment sur le conflit Chine/Japon et s'étend également sur la deuxième guerre mondiale. Le fait que le père raconte une seule fois un moment traumatisant, alors que Murakami est encore enfant et en est fortement impressionné, montre un personnage parfois dominé par ses pulsions, mais qui se reprend très vite le contrôle de sa personne. Il n'en reste pas moins quelqu'un que la guerre a brisé durablement, dans sa chair et dans son âme. Le haïku sera l'élément salvateur qui lui permettra d'exprimer ses véritables sentiments. Murakami en étant un élève médiocre, génèrera insatisfaction et déception chez le père qui refroidira leur relation au point de ne plus se voir. Murakami explique avec justesse combien "Tous tant que nous sommes, nous pouvons respirer l'air de notre temps." Peu de temps avant sa mort, un face à face aura lieu qui prouvera à l'auteur combien le lien reste fort entre son père et lui. "Le fils ordinaire d'un père ordinaire"?

abel79
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le 7 mars 2022

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