Après avoir digéré un résumé de l'histoire du XXème siècle ("L'âge des extrèmes, Hobsbawm, cf ma critique), je m'suis dit: "Tiens, ça serait cool de lire ce qui pourrait se passer dans le futur". Fan de science-fiction, je dois avouer n'avoir jamais lu d'ouvrage de "prospection". L'ouvrage d'Attali me semblait idéal: je ne porte pas spécialement le bonhomme dans mon coeur, mais ce n'est pas un abruti et, en plus, il ose causer du futur jusqu'à 2050 et après. Du coup, je me sens tout chose et je passe à l'attaque.


Le livre débute par un résumé de l'histoire marchande depuis les débuts de l'humanité. Rien que ça ! Superbe idée, mais mal exploitée: cette première grosse section n'est qu'une succession de faits, de données, de chiffres. C'est chiant et répétitif, plutôt âpre mais pas totalement inutile puisque l'auteur y exprime son idée des "coeurs marchands", ces villes qui font pulser le monde à leur rythme pendant quelques décennies avant de laisser la place à d'autres prétendants. Ce concept est intéressant et servira de base à la partie futuriste du livre mais représente tout de même un véritable effort de lecture. Ce qui est plutôt paradoxal puisque Atalli essaie de toute évidence de s'adresser au grand public.


Après avoir gravé au fer rouge dans nos crânes que l'histoire est un éternel recommencement malgré son évolution et qu'il est donc possible de dégager des lois servant à prédire le futur proche, Atali s'attèle à développer son concept des trois phases de l'avenir: l'hyperempire, l'hyperconflit et l'hyperdémocratie.


L'hyperempire, c'est la victoire de l'Ordre marchand sur la démocratie, le capitalisme ultra-libéral qui l'emporte sur la valeur de l'être humain. Ça vous dit quelque chose ? Normal, on est déjà en plein dedans... Cette section est de loin la plus intéressante du bouquin puisque Atalli nous esquisse un monde digne des meilleurs romans cyberpunk, cohérent, implacable, dépressif. Autosurveillance née de la peur de ne plus répondre aux normes de la société mondiale, abandon de toute attache terrestre, recréation artificielle de l'homme, vies virtuelles et drogues électroniques, j'ai savouré chaque paragraphe de cette incroyable vision de nous-mêmes qui correspond déjà tellement à ce que nous sommes en train de vivre. Le style de l'auteur se fait même souvent philosophique, voire poétique:


"(...) beaucoup réaliseront alors qu'il n'auront jamais le temps de tout lire, tout entendre, tout voir, tout visiter, tout apprendre (...). Le temps nécessaire pour se tenir informé, devenir et rester "employable" augmentera tout autant. Alors que ne changera pas le temps nécessaire pour dormir ou aimer."


" D'aucun découvriront alors que la liberté elle-même (...) n'est en fait que l'illusoire manifestation d'un caprice à l'intérieur de la prison du temps."


" Le monde ne sera alors qu'une juxtaposition de solitudes, et l'amour une juxtaposition de masturbations."


Ça calme...


La deuxième partie, l'hyperconflit, reste intéressante mais est un peu trop succincte pour nous satisfaire pleinement. Nous entrons là dans une ère faite de terroristes, de mafias, de pirates et de fois violées. Le spectacle épique de notre propre destruction.


L'hyperdémocratie est la conclusion logique, quoique très frustrante de tout cela: Atalli est beaucoup trop vague pour être convaincant. Je trouve quand même peu enthousiasmant de me dire que c'est la partie optimiste du livre qui se retrouve la moins développée. Un peu comme si l'auteur ne faisait que proposer ses espoirs secrets:


" Je veux croire qu'un jour (...) l'hyperempire aura pris assez d'ampleur pour faire percevoir l'unité du monde sans être parvenu à détruire l'identité humaine. Je veux aussi espérer que l'hyperviolence menacera assez fortement l'humanité pour lui faire prendre conscience de la nécessité de changer radicalement d'attitude à l'égard d'elle-même".


Même si l'ensemble peut paraitre assez fouillis, tant les informations abondent, se suivent et s'entrecoupent, l'essai d'Atalli parle suffisamment à l'enfant apeuré et au vieillard qui est en nous pour nous pousser à le lire jusqu'au dernier mot. Et peut-être cesser d'espérer pour agir.

Amrit
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le 19 août 2011

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