Est-ce que je vous l’ai dit, qu’elle roulait en Fiat 500 rouge ?

Un titre qui sonne bien, les falaises de la Côte d’Opale comme décor et la mention «Thriller» : voilà qui promettait un agréable moment de lecture. C’est donc favorablement disposée que je plongeai entre les pages d’Un bien bel endroit pour mourir. C’est cependant un rien moins bien disposée, à l’issue de ma lecture, que je rédige cette critique. Les récriminations mineures, concernant l’enquête en elle-même ainsi qu’une pléthore de personnages inutiles, n’auraient pas justifié une critique si ce n’était pour le troisième et dernier point de cet opprobre : des placements de produit incessants. Aussi, pour ceux qui n’auraient pas le courage de lire ma diatribe en entier – ce que je comprendrais totalement – je vous invite à passer directement à la troisième partie. --- Attention petits spoilers ---



Une enquête bancale



L’enquête commence lorsque Marcus, un policier, tombe sur un cadavre lors de son jogging. Jusque-là tout va bien, à part pour l’homme ainsi découvert – et pour Marcus, qui va devoir reporter ses vacances. La victime en question s’avère être une personne de couleur. Et c’est ici que ça se gâte… comme l’histoire se déroule non loin de Calais, que l’on ne retrouve pas les papiers du défunt à proximité et que celui-ci s’est éteint face aux falaises anglaises, toute l’équipe part du principe qu’il s’agit d’un migrant. Il ne semblerait venir à l’esprit de personne que cet homme vivait peut-être dans la région et pourrait avoir été porté disparu. Aucune supposition n’est émise en ce sens, et nous attendons donc patiemment avec la police que l’autopsie confirme cette première théorie pour que l’enquête puisse progresser. Cela tombe bien, ce petit temps mort, parce que l’auteure a décidé de nous raconter par le menu la vie de sa myriade de protagonistes et que, de toutes façons, que faire pour ce pauvre homme qui rêvait d’une vie meilleure en Angleterre, ou pour sa famille dont nous ignorons tout … ?


Après une bien longue attente et une insipide immersion dans le quotidien des personnages, les résultats du légiste tombent enfin, venant corroborer la seule piste « suivie » jusqu’à présent ; ce qui est bien commode. Le défunt était en effet originaire de la Corne de l’Afrique. Voilà. L’histoire peut donc reprendre son cours et mener


à la découverte, par une journaliste du nom de Zoé, de deux autres cadavres enterrés sur la falaise.


Si l’un est identifié relativement rapidement comme étant de la région, le second corps semble passer aux oubliettes et le légiste ne nous en communique rien. Ce n’est que plus tard, quand


la piste d’un réseau de trafic de migrants est exposée,


que Marcus affirme tout à coup que le troisième corps était également celui d’une personne d’origine africaine. Si le côté providentiel de cette révélation soudaine venant confortablement confirmer l’hypothèse d’un trafic d’êtres humains n’est surement dû qu’à un oubli dans la narration, il n’en reste pas moins, qu’en plus d’être rapportée avec une extrême lenteur, l’enquête comporte des incohérences.


S’il est vrai que durant les 650 premières pages, l’affaire n’avance pas vraiment, le rythme change soudainement vers la fin, et c’est sur les 50 dernières pages de ce pavé de 700 que tout est plié ! Un joli tour de passe-passe à coup d’explications tout aussi floues qu’abracadabrantes. C’est bien simple,


les méchants sont fous à lier et schizophrènes, et c’est en grande partie pour cela qu’ils tuent.


Et parce qu’ils trempent également dans des commerces pas très nets. D’ailleurs, comme nous avions vaguement été introduits à une clique peu recommandable


comprenant un proxénète belge et un médecin anglais, le dénouement fait d’une pierre deux coups en nous livrant un trafic d’êtres humains alimentant un bordel illégal et une filaire de tests de médicaments.


Le tout est expédié en 4ème vitesse, comme si l’auteure, consciente d’avoir trop tiré en longueur essayait de couper au plus court, ou parce que tout ça ne tient pas vraiment la route et que ça n’a, au final, pas tellement d’importance. Il est, en effet, bien plus intéressant de savoir si un tel va aller voir une telle à la chorale ou si Marcus pourra finalement partir en vacances ! Et c’est sur ce point que j’aborderai le second volet de mes récriminations.



Des personnages beaucoup trop nombreux et souvent inutiles



Si l’enquête et sa conclusion m’apparaissent comme assez bancales, la progression de l’histoire souffre, elle, des incessantes incursions faites dans la vie des innombrables protagonistes. Chaque personnage a droit à son temps de parole, nous permettant ainsi de plonger dans son passé souvent douloureux, de nous engluer dans ses états d’âmes présents ou d’avoir accès aux aspects les plus banals de son quotidien (ex : la composition exacte de leur petit-déjeuner ou les détails de vie sexuelle d’un couple libre). Si je conviens que la construction psychologique des personnages est un élément important, il n’est, dans ce cas, vraiment pas nécessaire de les développer tous… Au contraire. De plus, les nombreuses répétitions n’aident, elles n’ont plus, pas à faire avancer l’histoire ni à disposer le lecteur favorablement envers ces personnages et leurs radotages.


En outre, parmi les quidams dont la compagnie nous est imposée tout au long de ces 700 pages, il y en a des types qui ont été répétés jusqu’à l’indigestion. Indigestion aux gâteaux de Suzie, veuve sans enfant gavant ses collègues de pâtisseries. Indigestion aux menus complets préparés tous les soirs par Eulalie et Gustave, petit couple de retraités également dépourvus de progéniture et donnant presque la becquée à Marcus, leur voisin,


avant de détourner leur attention vers Louisa et son fils.


Marcus s’avère également être veuf, tout comme Jo Marsalo, le patron du journal qui ressent une affection toute paternelle pour la demi-orpheline qu’est Zoé. La Côte d’Opale semble ainsi peuplée de gens marqués par le deuil et débordant d’amour non épanché, guettant avidement l’apparition de toute personne qu’ils pourraient adopter sentimentalement (voisin, employée, collègues, voisine, gamin qui passait par là). Ou mieux encore,


à qui ils pourraient sauver la vie, comme « ce bon vieil Eddie» surgissant providentiellement du néant pour voler au secours de Zoé et ensuite rétrocéder dans son inexistence d’ancien bijoutier, sans même l’aumône d’un nom de famille en remerciement de son acte de bravoure.


Je tiens ici à préciser que je n’ai rien contre ce type de personnage ni leurs actions, mais je trouve que leur multiplication rend le tout assez peu crédible et rajoute une couche de mièvrerie inutile à l’histoire.


Cependant, si je peux comprendre et pardonner l’irrépressible envie, voire l’impérieux besoin, de la part d’un auteur, de se lancer dans d’exhaustifs et poignants portraits au détriment d’une intrigue, le fait que ces mêmes personnages servent à la promotion constante de diverses marques et produits m’apparaît comme tout bonnement scandaleux.



Un placement – que dis-je, un martellement – de produit constant



J’en arrive ainsi à ma récrimination principale. Si je n’étais qu’ennuyée par les points évoqués ci-dessus, je suis carrément outrée par la présence incessante et parasitante de noms de marques et de produits dans le récit. Certains passages, et ce, dès la page 15, ressemblent à s’y méprendre à des storyboards de publicité, avec mise en contexte et slogan. Jugez plutôt. "Des effluves iodés lui battaient les narines alors qu’il respirait bruyamment. La foulée dynamique et rythmée. Ses baskets jaune fluo avalaient les mètres avec facilité. Des Nimbus 17 Asics dernier cri améliorant l’amorti et le confort. La publicité prédisait même qu’on se sentait pousser des ailes, une fois enfilées."


Ce martellement de produit se poursuit tout au long de l’histoire, n’épargnant aucun secteur (tech, boisson, automobile, mode,…). Le lecteur se voit constamment bombardé de suggestions allant du Coca Light à de la Badoit en passant par des «Adidas Stan Smith flambant neuves», un «classique mais chic carré Hermès» ou encore «la machine [à café] flambant neuve de George Clooney» / «Deux expressos de la machine de George Clooney» / «Délicieux expressos !». Dans le même genre, nous avons droit à des scénarii complets pour la promotion du parfum Lolita Lempicka, d’un collier Swarovsky, d’escarpins Louboutin ou encore de «l’orchidée blanche de chez Nature et Découverte» qui sentirait apparemment bon quand pulvérisée délicatement… En plus des marques énoncées en toutes lettres, le livre fourmille également de descriptions très précises de silhouettes de mode agrémentées d’accessoires, donnant l’impression de se balader entre les pages de Femme Actuelle ou Marie Claire.


Aussi, le lecteur étant possiblement prompt à passer outre certaines précisions, il paraît bon de les lui seriner du début à la fin. C’est ainsi, qu’il est fait (au moins) 24 fois référence à la Fiat 500 rouge de Zoé. Ses comparses ne sont pas en reste, puisque la Mini One Noire de Louisa est mentionnées 6 fois, et la Golf blanche de Marcus au moins 7. Cette désagréable manie s’étend jusqu’au chien de Zoé, qui ne mérite même pas d’avoir un nom mais dont on nous assène à l’envi qu’il s’agit d’un bouledogue français – un bouledogue français, je vous le redis, pour être sûre.


De nouveau, j’admets totalement que les détails puissent être d’une grande importance, surtout dans les enquêtes policières, mais je peux vous assurer que ces références intempestives ne jouent, ici, aucun rôle dans l’intrigue. Aussi, j’ai espéré un moment que ce mitraillage incessant soit, dans le fond, un outil de critique de notre société, où nous vivons enfermés bien à l’abri dans nos jolies maisons aux intérieurs décorés avec goût, bien à l’abri dans nos habitudes de consommation et de nos mirages matériels, ignorant totalement les drames qui se jouent à nos portes et sur cette mer que nous nous enorgueillissons de pouvoir contempler depuis la fenêtre de notre demeure. Cependant, l’apparition d’un point de vue venant trancher avec cette apparente normalité et montrer l’envers de cette réalité léchée s’est fait attendre tout au long du récit et son absence a fini par étouffer totalement mon maigre espoir à ce sujet.



Conclusion



En conclusion, ce livre qui aborde le thème des migrants ne s’en sert que comme prétexte pour nous servir un ersatz de mauvaise sitcom entrecoupée de publicités. Le tragique sujet au cœur de l’intrigue passe au second, voire au troisième plan, bien loin derrière les possessions matérielles et les tribulations des quidams locaux ainsi que l’accomplissement de leurs désirs divers (partir en vacances, gagner le prix Pulitzer, clouer le bec au journal concurrent, trouver l’âme sœur,…). Tout est d’ailleurs bien qui finit bien,


puisque tous y trouvent plus ou moins leur compte.


C’est donc soulagés que nous pouvons refermer ce bouquin au «bien beau titre pour si peu», pour nous recentrer, quoi qu’il arrive, sur nos petits malheurs personnels, comme celui, par exemple, d’avoir lu un mauvais livre vendant la littérature aux annonceurs.


Ps : Il est amusant de noter que,


bien qu’aucune femme blanche ne décède dans cette histoire,


deux des trois modèles de couvertures que j’ai pu trouver représentent, justement, le corps d’une femme blanche.

Rhapsody
3
Écrit par

Créée

le 25 févr. 2021

Critique lue 190 fois

Rhapsody

Écrit par

Critique lue 190 fois

D'autres avis sur Un bien bel endroit pour mourir

Un bien bel endroit pour mourir
Rhapsody
3

Est-ce que je vous l’ai dit, qu’elle roulait en Fiat 500 rouge ?

Un titre qui sonne bien, les falaises de la Côte d’Opale comme décor et la mention «Thriller» : voilà qui promettait un agréable moment de lecture. C’est donc favorablement disposée que je plongeai...

le 25 févr. 2021

Du même critique

Un bien bel endroit pour mourir
Rhapsody
3

Est-ce que je vous l’ai dit, qu’elle roulait en Fiat 500 rouge ?

Un titre qui sonne bien, les falaises de la Côte d’Opale comme décor et la mention «Thriller» : voilà qui promettait un agréable moment de lecture. C’est donc favorablement disposée que je plongeai...

le 25 févr. 2021