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Bien avant d’accéder à l’Académie Française, Hélène Carrère d’Encausse avait prédit la chute de l’Union Soviétique en 1978. Bien qu’elle se soit (lourdement) trompée sur les causes, sa longue carrière parle pour elle : c’est l’une des plus grandes spécialistes de la Russie en France et ses contributions, largement dignes d’intérêt, rencontrent l’approbation du monde universitaire. Ici, le secrétaire perpétuel, et j’insiste sur le masculin, s’intéresse à la période charnière où l’Union Soviétique est passée de superpuissance mondiale en déclin à construction géopolitique du passé. Six années qui ont changé le monde, de l’accession au pouvoir de Mikhaïl Gorbatchev jusqu’au dernier soubresaut Schmittien de l’empire : le coup d’État conservateur de 1991 entraînant irrévocablement sa chute.


La lecture de ce livre s’est accompagnée chez moi d’un réel plaisir car l’écriture est très plaisante et surtout les sources historiques ne sont pas traitées à la légère. C’est vraiment un bon livre. L’Institut des Relations Internationales et Stratégiques (IRIS) le conseille tout de même, ainsi que la revue Conflits. Le propos paraît clair mais sa construction est néanmoins imparfaite, tant au niveau du contenu qu’à celui du contenant.


Ne nous y trompons pas, le livre est en définitive excellent et permet depuis un propos concis de survoler avec fluidité et une certaine rigueur une période aussi complexe que touffue. Le découpage, mi-chronologique mi-thématique a été bien pensé pour ne pas étouffer le lecteur sous un amas d’informations soit trop lourdes, soit trop espacées pour que l’on puisse saisir les imbrications. Une chute d’empire est toujours un sujet passionné et difficile pour la structurer posément. En cela, le livre y réponds avec une clarté qui fait plaisir à lire : système bloqué, premiers succès de la Glasnost et de la Perestroïka ainsi que la Gorbymania à l’étranger, difficultés, essor des nationalités, émergence de la Russie face au pouvoir central, et le final que l’on connaît tous. Clair, simple et efficace. Pour quiconque est ignorant en la matière, c’est une œuvre introductive de premier plan.


Ceci étant, « Six années qui ont changé le monde » ne fait pas réellement avancer l’historiographie de la période, pourtant un terreau bien riche en lectures subjectives et en sources discordantes. Si l’auteur énumère parfois les contresens et subjectivités, elle ne fait justement que les citer, et ne rentre pas plus dans le détail (exemple du putch de Moscou du 19 août 1991 où les réformateurs suspectaient la main de Gortbatchev dans l’événement, ou encore du massacre de Tbilissi en 1989). On rétorquera alors que c’est justement le pari de ce type d’approche de ne pas aller trop dans le détail mais le problème est tout autre. Après avoir fini la lecture de ce livre au titre évocateur, est-ce vraiment une étude de la chute de l’URSS ?


Oui et non. Le prisme d’étude en tout cas porte à confusion, car on se demande au final si l’on a en face des yeux une double biographie de Gorbatchev et Boris Eltsine qui ne dit pas son nom, car même l’approche annoncée, une histoire politique et institutionnelle des deux mesures phares du PCUS, glasnost et perestroïka, souffrent de lacunes. Il est entendu que Gorbatchev n’a pu que constater l’étendue des dégâts en devenant le nouveau secrétaire général du Parti, et je trouve que Carrère d’Encausse ne fait qu’un survol rapide de toutes les erreurs commises pendant la période Brejnev (voire Khrouchtchev) qui ont mené à une telle stagnation. Il est évident que la faiblesse politique du nouvel homme fort du régime a facilité l’effondrement de l’édifice mais il est loin de tout expliquer. Sans chercher à le défendre historique ou politiquement, le découpage du livre peut prêter à confusion. Ensuite, l’auteur parle à deux ou trois reprises (comprendre : deux ou trois phrases) d’une situation économique et sociale qui se délite. Pouvoir d’achat, rendements industriels, agriculture, ou politiques sur les privatisations, rien n’est dit jusqu’à la chute. Il est justement dommage de n’avoir aucune source ni aucun chiffre sur cet état. Je doute d’ailleurs que quelques éléments économiques ou sociologiques n’auraient pas entravé le plaisir de la lecture.


Surviennent également quelques erreurs factuelles qui, si elles ne gênent ni n’entravent le sérieux du travail, sont néanmoins ennuyeux. Elles concernent d’ailleurs l’émergence des nationalismes, sujet sur lequel Carrère d’Encausse s’est ironiquement trompée dix ans avant la chute de l’URSS. Par exemple, elle considère que les Abkhazes, peuple du Caucase, sont majoritairement musulmans, et que leur indépendance les jetterait dans les bras de la Turquie. Si une partie d’entre eux le sont effectivement, ils ne représentent que 16 % de la population contre plus de 60 % de chrétiens orthodoxes. Et même s’ils sont désormais indépendants de facto au sein d’un État non-reconnu internationalement, leurs rapports avec la Turquie sont trop marginaux pour les noter.


Une étude fouillée et agréable que je conseille tout de même fortement aux néophytes de l’histoire russe / soviétique. Cette approche politique, quoique très imparfaite, permet d’avoir un premier pied dans l’historiographie d’une période impérative à comprendre pour mesurer toutes les subtilités et les nuances nécessaires à l’étude d’un pays trop caricaturé à coups poncifs expéditifs.

Créée

le 2 janv. 2021

Critique lue 106 fois

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