« C’est depuis ce jour-là que pour toutes ces ordures sombres qui chassent sur le Net je suis devenue SEX TOY. Une gamine de treize ans qui aime les sucettes et qui se doigte pendant les cours. » (p.25)

SEX TOY n’est pas un jouet lubrique. SEX TOY, c’est le pseudonyme qu’emprunte Didrie sur internet, afin d’appâter des hommes plus âgés, simplement pour s’amuser avec ses amis. Il faut dire que cette adolescente de 13 ans évolue dans un univers des plus insalubres régi par l’alcool et le sexe.

Avec ce nouveau roman, Jean-Marie Gourio aborde la sexualité et la pornographie telles qu’elles sont perçues par tout un groupe d’adolescent. Le sakz employé ici est à des mille des pérégrinations d’un Holden Caulfield :

« Elle est bonne ta chatte, je vais te la mettre ma grosse bite dans le cul, après la classe on va au parc et tu me suces, les mecs n’ont plus que ces mots-là à la bouche. Des Loups, tous des loups. »

Dans Sex Toy, on traite ‘chatte’, ‘bite’ et alcool ad nauseum. Assez du moins pour déceler la véritable précarité de ces adolescents perclus par l’ennui et qui ne trouvent d’exutoire que dans la chaire dans tout ce qu’elle a de plus moribonde. On baise parfois. On se masturbe beaucoup aussi.

Il serait cependant hâtif de considérer que cet onanisme soit également celle d’un auteur complaisant. Au contraire, Gourio aborde un problème sociétal et en esquisse un tableau cru, lucide et sans illusion, sans en oublier les dommages collatéraux.

Ce livre aborde justement la confrontation brutale de l’enfance avec le monde des adultes. Le choix de Gourio est d’exposer une génération qui en a fini avec ses rêves et qui les a substitué contre quelques fantasmes vite assouvis par le biais de la toile. Leurs perspectives d’avenir sont nulles dans tous les domaines. Si la scolarité est plus que secondaire, les sentiments, eux, ont été phagocytés sur l’autel de la pornographie gratuite et illimitée.

Didrie est complètement déphasée face aux fantasmes des hommes, souvent d’une barbarie pleinement assumée. Elle voit bien cette violence corrélative au sexe et avec l’image du sperme, le sang n’est jamais loin :

« J’allais bien mais tout d’un coup j’ai sursauté quand mon père a mordu dans la pomme, ça m’est revenu, l’angoisse, la peur, tout frais, le sperme qui gicle à travers la table, le sang sur le front de ma petite sœur, les dents. Je crois que j’ai lâché du pipi dans ma culotte. Ca m’écrasait la poitrine. J’étouffais. Personne n’a rien vu. C’était pas normal. J’en pouvais plus d’avoir la tête qui se barre à ce point-là. » (p.59)

La figure du père se veut menaçante. Didrie ne peut s’empêcher de suspecter son paternel d’être un « loup », ce qui constitue l’intrigue majeur de ce livre. Le loup, c’est le prédateur, évidemment, autrement dit le gros dégueulasse à fuir absolument. La menace pour une fille qui n’est finalement encore qu’une enfant.

En témoignage de cette époque au sacré révolu, les noms des filles sont également symptomatiques de cette génération pas de bol : Loana, Cyndy, Daniela...

Didrie est sur une corde raide. Alors que ses amis prennent déjà du viagra afin d’affirmer leur virilité juvénile, elle, se tisonne les neurones à coups de 8.6, en bonne adepte de la biture express. Elle vacille, flanche constamment et voit tout par le prisme du sexe, y compris la lascivité latente mise en exergue dans le domaine de la publicité :

« Y’avait des nouvelles publicités pour des culottes, on voyait des fesses bronzées hautes comme un étage tout le long de l’avenue avec une étiquette comme si c’était du jambon, et après une femme qui lèche une glace et une fille assise qui est une secrétaire qui suce un stylo et elle regarde son patron debout devant elle avec la braguette avec une bosse on la voit la forme de la bite devant sa bouche à la femme avec ses lèvres grises entrouvertes brillantes et ses yeux salaces contents écarquillés […]. »(p.64)

Jean-Marie Gourio a l’audace de nous proposer un livre tranchant avec ses frasques romanesques habituelles et à mille lieues de ses brèves de comptoirs décalées. Ici, l’ambiance est grave. Rien pour faire relever la tête du lecteur qui a plutôt intérêt à se mettre dans de bonnes dispositions psychologique s’il compte parvenir au bout de ce récit glauque qui vomit une adolescence décharnée, déjà à l’agonie. Certains peuvent se rassurer en ne voyant dans ce roman qu’une sinistre histoire fruit d’une imagination aussi fertile que vicelarde. Cependant, Gourio touche ici à quelque chose de bien plus factuel.
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le 17 oct. 2012

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Anthony Boyer

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