Satisfaction
6.3
Satisfaction

livre de Nina Bouraoui (2021)


Insatisfaction…



« Nos baisers sans tendresse remplacent les mots. Il m’est impossible de dire « je ne t’aime plus », comme il me serait impossible de quitter Brahim, de partir avec mon fils, de laisser son père au pays de la tristesse, d’apprendre une autre ville avec d’autres hommes et d’autres femmes. Je suis condamnée à rester ou je me condamne à rester, manquant de courage et d’imagination. Je ne saurais où me rendre après ici. »


En 1962, au lendemain de l’indépendance, la narratrice, Michèle Akli, une bretonne, s’est installée à Alger par amour pour son mari, Brahim. Quelques années plus tard, elle a 38 ans, son fils Erwan en a dix, elle est dans l’attente d’un évènement qui n’arrive pas, dont elle ignore la nature, attend-elle quelque chose ou quelqu’un ? Que deviendrait-elle si Brahim ne rentrait pas ? Aurait-elle le courage de refaire sa vie ?... Les années assignent à résidence… « Peut-on aimer sans amour ? »
C’est dans ce désarrois absolu que débute le magnifique ouvrage de Nina Bouraoui « Satisfaction ».


Nina Bouraoui (Yasmina Bouraoui) est une romancière française, née en 1967 à Rennes, d'un père algérien et d'une mère bretonne.
Ses parents se rencontrent à Rennes, en 1960, alors qu'ils sont étudiants. Son père, brillant élève, avait été envoyé en France à Vannes, pour poursuivre ses études. Il y passe son bac, et, recommandé par le proviseur de son lycée, entre à la faculté d'économie de Rennes. Il obtient un doctorat d'économie. La mère de Nina, fille de chirurgiens-dentistes, est étudiante en droit. Ils se marient à Rennes en 1962, malgré l'opposition des parents.


Nina Bouraoui passe les quatorze premières années de sa vie à Alger. Lors d'un été en Bretagne, dans sa famille maternelle, ses parents prennent la décision de ne pas retourner en Algérie. C’est alors que naît le déracinement. Elle vivra son adolescence successivement à Paris, Zurich et Abou Dhabi, puis revient à Paris après son baccalauréat pour étudier la philosophie et le droit. Attirée dès l'enfance par le dessin et l'écriture, c'est l'écriture qui lui permettra de « trouver sa place dans le monde ». Elle dit « écrire avec son corps ». Pour elle, l'écriture est un temps où « la sensualité n'est pas séparée de l'esprit ». Ses thèmes de prédilection sont le déracinement, la nostalgie de l'enfance, le désir, l'homosexualité, l'écriture et l'identité.
En 1991 elle obtient le Prix du Livre Inter puis le Prix Renaudot en 2005. En août 2018 elle est promue au grade de Commandeur de l'ordre des Arts et des Lettres.
"Satisfaction" est son dix-huitième roman.


Il saute aux yeux que la ressemblance est frappante entre les parents de Nina (père algérien et mère bretonne) et les protagonistes de son livre, Brahim et Michèle Akli. Qu’en sera-t-il du dénouement ? Sur ma fiche de lecture, j’ai mis une photo de Nina, elle est belle. Ou du moins, je la trouve très belle. Il me plait de donner ses traits à Michèle, comme deux sœurs jumelles. Les voilà incarnées.


L’amour de Michèle ? Son fils : « Dans la chambre de mon fils : son drap, l’oreiller, son odeur, ses vêtements, ses jouets, les cahiers sur son bureau. L’enfance à l’odeur des champs de blé. Je suis ivre d’Erwan. Je l’imagine dans la cour attendant l’appel de son nom, cartable sur l’épaule, short et chaussettes hautes, chemise en denim, sa médaille de la Vierge contre sa peau ; je ne crois pas en Dieu, mais, superstitieuse, je prie contre le mal. »


Tout, dans ce livre parle aux sens, « … j’entends le froissement des fleurs qui s’ouvrent gavées de pluie […] La terre vit, déborde, grandit. Elle renaît, se nourrit de ses pousses, de ses écorces, de ses débris. Elle sent, empeste, ravit, enivre. Elle rend fou, folle, dépendant. […] Elle chante, gesticule, s’ouvre et se ferme, coule en sève, en résine… » plus intime « … Le combat que nous menons dans notre chambre est celui de la jouissance que nous implorons pour nous délivrer de la chaleur, de l’ennui, de la défaite de la parole… »


Et, « En robe, parfumée, je me sens « femme » pour aller chercher mon fils. En écrivant ces mots, j’ai conscience de mon ambiguïté. Je n’éprouve pas de désir charnel pour Erwan, mais une jalousie anormale pour ceux qui me voleront son cœur. » Et, justement, voilà qu’apparaît Bruce « Le garçon est des années soixante-dix, sa coupe de cheveux, son allure, le collier en ivoire au ras du cou. Je ne suis d’aucune époque, vaincue, […] un charme animal. Il fera du mal à Erwan, je devrais l’en protéger. » Bruce et Erwan se tiennent par la main au sortir de l’école… Pire !... Bruce n’est pas un garçon, mais une fille dont le prénom est un surnom : elle adore Bruce Lee…


Et enfin, après un (trop) long intermède de désespérance, voici que se présente Catherine, la maman de Bruce… « Elle n’est ni grande, ni petite, son corps est taillé pour le désir des hommes, des femmes, nous foudroyant dès le premier regard comme si elle lançait au visage des poignées de pétales de roses et de cristaux. » Alger abritait une femme, et Michèle l’ignorait !...
Plusieurs romans se superposent, se chevauchent et s’entremêlent. L’histoire que vivent Michèle, Erwan, Catherine et les autres, et celles, fantasmées, imaginées, rêvées, que s’invente Michèle du fond de sa névrose, de son obsession, de sa folie… À vous de les découvrir…


L’écriture est fluide et poétique, de petites phrases crépitent, précises et percutantes, une multitude de paragraphes courts, espacés, font de ce texte une succession de tableaux qui hésitent entre impressionnisme et pointillisme tant les touches sont vives, sautillantes et rapprochées. Le soleil et la lumière d’Algérie apportant une pointe de fauvisme et de sensualité, la mélancolie, le déracinement et le mal-être de Michèle y créent un contraste déstabilisant… J'adore !


P.S. : Avis aux amoureux du “pouce dégoulinant”, vous pouvez vous déchaîner ! Ce livre n’est pas pour vous, inaccessible. Cette chronique non plus.

Philou33
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le 27 oct. 2021

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Philou33

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