Rien de tel qu'un fan de talent pour brosser le tableau d'une de ses idoles, et lui rendre l'hommage amoureusement ému d'un tiers bien disant (pour reprendre les mots de Gracq).


Ainsi de Sarah Briand, journaliste pour France 2, dont l'expérience au sein de l'émission Un jour, un destin lui a donné le goût des portraits nourris et richement illustrés.


Après avoir narré la vie de Simone Weil, c'est à une autre femme d'importance qu'elle s'attaque avec ce livre, la destinée ô combien tragique d'une icône du cinéma, Romy Schneider.
Son seul prénom d'ailleurs suffit à ne désigner qu'elle, comme si son identité entière était contenue dans ces quatre lettres connues du monde entier.


C'est pourtant à la rencontre de Rosemarie Albach que nous convie Sarah (qui porte d'ailleurs le prénom de la fille de l'actrice), dans des pages à la fois intimes, pudiques et prenantes au cœur desquelles la journaliste est parvenue à conserver la juste distance, le parfait dosage d'admiration et de sobriété.


Le récit s'ouvre en 2018 sur l'hommage dans les colonnes du Figaro que rend à Romy son amour de toujours, l'âme-sœur qui pourtant jamais ne l'épousa : Alain Delon.


Et il sera beaucoup question de cet homme au fil de ce livre qu'il traverse de bout en bout depuis sa première rencontre avec l'actrice pour le film Christine en 1958 et jusqu'à ces lignes qu'il publie religieusement à chaque anniversaire de l'actrice. In memoriam. Il dit d'ailleurs à la tout fin, lors de l'entretien qu'il accorde à Sarah Briand, qu'il lui doit son entrée dans le cinéma, comme il doit la totalité de ses succès aux femmes qui ont jalonné sa vie, tel Georges Duroy de Bel-ami.


Le livre est constitué de brefs chapitres datés et localisés qui sont autant de balises marquantes et d'anecdotes passionnantes dans le parcours à la fois professionnel et personnel de Romy Schneider (bien que les deux univers tendent bien souvent à se confondre).


La belle autrichienne aimait à l'écran comme dans la vie (intensément, les yeux brillants, prête à tout risquer) et bien souvent ses partenaires, comédiens ou réalisateurs, furent des amours tout court qui fondèrent sa réputation d'amoureuse de l'amour (en digne Balance née le 23 septembre). Muse de Claude Sautet, idole de Clouzot et de Visconti, elle passa sa vie à douter d'elle-même tout en tentant de faire oublier son accent allemand et son image de Sissi.


Difficile pour le lecteur sensible de ne pas pleurer sur ce drame qui s'abat sur elle en 1981, la perte de David, son fils de 14 ans, évènement qui bouleversera son existence et précipitera sa fin. Fin qui demeure un mystère (ainsi que l'annonce le titre du livre, une ligne empruntée à Barbara qu'elle aimait tant) et qui dit bien la chape de silence de cette nuit inexplicable où elle mit (aurait mis ?) fin à ses jours en mai 1982. Sarah Briand finit souvent ses chapitres sur des questions et elles sont nombreuses qui nimbent la destinée et les choix de Romy Schneider, qui avec elle emporta ses mystères. Le lecteur ne peut que se dire qu'elle est morte de trop de chagrins irrémédiables- la mort de David qui a suivi de près le suicide de son ex-mari, père de son fils. Une lente consumation dans les larmes, le désespoir comme une sourde tumeur qui tue sans un bruit.


Toutefois, malgré cette épreuve, l'amateur de cinéma se régale de ces pages qui relatent ça et là l'atmosphère survoltée des plateaux de tournage, les tractations avec les producteurs, la délicate gestion des egos, les rivalités sous-jacentes, les liens qui se nouent hors caméra avec l'impression d'entrer dans les coulisses auprès des plus grands noms du 7ème art.


Cette scène où Romy Schneider se confie à Marlene Dietrich, sa grande amie, ou réclame les boucles d'oreille de Claire Denis pour continuer à tourner, sont autant d'instants précieux qui permettent d'éclairer la personnalité de cette icône aux tourments abyssaux.


Sarah Briand explique également fort bien le rôle crucial et mortifère joué par les tabloïds de l'époque, leur traque de l'actrice (qui les haïssait, à juste titre) et jusqu'au coup de grâce ultime : la publication par le quotidien allemand Bild des clichés de son fils à la morgue. Jusqu'où peut aller l'indécence des médias (surtout outre-Rhin à l'égard de l'enfant du pays qui s'est détournée selon eux de ses terres natales)?


Pour cette femme fragile, manquant cruellement de confiance en elle-même, travailleuse acharnée de son art, ces chassés-croisés permanents avec les photographes furent un cauchemar de tous les instants.


Malgré tout demeure(rero)nt la lumière, la talent et la bouleversante beauté de Romy, inoubliable Rosalie, sculpturale splendeur sur la bobine de Jacques Deray dans La Piscine (Delon avait d'ailleurs conditionné sa propre présence dans le film à celle de son ancien amour), son élégance intemporelle et sa quête éperdue de l'amour absolu.


On aimera garder d'elle son versant solaire et épanoui à Ramatuelle, sa liberté échevelée. Sarah Briand a du talent pour les jolies scènes *backstage*comme ce slow qu'elle danse avec Delon en 1980 sur Strangers in the night ou ce mystérieux paquet qu'elle reçoit un jour de la part de Marlene Dietrich.


Le lecteur referme ces pages dans un singulier mélange de tristesse et de joie : qu'une si brillante comète ait traversé le ciel du 7ème art, mais que son besoin de consolation ait été, comme tout cœur meurtri, impossible à rassasier.

BrunePlatine
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le 24 sept. 2019

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