Tallinn, 1941. L’Armée Rouge occupe de nouveau l’Estonie, le Pacte germano-soviétique ayant permis aux russes d’envahir le pays indépendant depuis 1920. Une partie des estoniens ont pris la forêt comme d’autres, plus au sud, ont pris le maquis. On se bat pour les couleurs nationales, convaincu de bouter le marteau et la faucille hors d’Estonie. Roland et son cousin Edgar sont dans l’armée nationale. Roland est gonflé à bloc alors qu’Edgar traine la patte : le terrain c’est pas son truc, trop près du conflit, trop près des balles, trop exposé, trop dangereux !
Enfin, l’Armée Rouge recule ! On se congratule, on est fier avant de comprendre que le drapeau bleu noir et blanc n’y est pour rien et que le rouge recule devant l’avancée de la croix gammée. Qu’importe, le peuple estonien fête tout de même le départ de l’occupant et accueille les allemands en libérateurs. Edgar, opportuniste, va déserter l’armée estonienne et sous un nom d’emprunt se mettre au service des hitlériens. Une collaboration efficace qui lui permet de rapidement progresser dans la hiérarchie. Rien ne l’arrêtera, ni la chasse aux bolchéviques, ni l’arrestation des juifs, ni les déportations massives, ni les camps de concentration… Roland, par contre, choisira de lutter contre ce nouvel occupant pour la souveraineté de sa patrie. Dans la clandestinité, il organisera la fuite à l’ouest des opprimés, juifs ou non.
Dans un récit parallèle mêlé à cette évocation de la Seconde Guerre mondiale, Sofi Oksanen transporte son personnage principal (Edgar) dans les années 60. Telle une girouette, il a de nouveau changé de camp – et de nom – pour servir l’Union Soviétique. Il est membre du Bureau (le KGB) et participe aux poursuites des sympathisants nationaux-socialistes en oubliant de mentionner son propre rôle.
Impossible de lire « Quand les colombes disparurent » sans comparer ce livre à « Purge », seul autre livre que j’ai lu de l’auteur. La force de celui-ci est pour moi de présenter une meilleure vue d’ensemble de l’Histoire (avec un « H » majuscule) de l’Estonie : les occupants successifs qui se sont partagés les ressources de ce petit pays qui avait le malheur de se trouver entre deux géants belliqueux, les chasses aux sorcières organisées à chaque changement de maîtres, la propagande acharnée du régime en place et la diabolisation de l’ennemis, les petites frappes courtisanes qui vendraient père et mère pour servir le plus fort et ainsi sauver leur propre peau, les files d’attente qui s’allongent devant les magasins (et quelques soit le régime en place), l’opiniâtreté des indépendantistes qui luttaient à la fois contre les allemands et contre les russes, l’économie de la débrouille et des réseaux parallèles qui ont permis aux plus débrouillards de tirer leur épingle du jeu… Et ce passage sur les fameux gaz de schistes que l’armée allemande recherchait déjà en 1941 dans le sous-sol balte. Cette Histoire est selon moi mieux traitée que dans « Purge » qui ne donnait qu’une vision plus restreinte de l’ensemble – moins de recul. Un texte dense mais plus facile, moins cru (dans « Purge », le personnage principal est issu d’un réseau de prostitution donnant lieu à des passages explicites).
Par contre « Purge » a eu le mérite d’être mon premier roman sur l’Estonie. Celui par lequel j’ai découvert ce petit pays dont je ne savais presque rien. Et même si j’ai beaucoup apprécié « Quand les colombes disparurent », la magie de la découverte et l’effet de surprise n’ont plus fonctionnés, seul bémol pour ce très bon livre.
BibliOrnitho
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le 25 nov. 2013

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