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Putzi
7.1
Putzi

livre de Thomas Snégaroff (2020)

Gloire et déchéance d'un homme abandonné.

Il en faut du talent littéraire pour dépeindre avec autant de précision une situation aussi ambivalente, floue et sulfureuse que la vie d'un homme tel que Putzi, ce germano-américain qui, après avoir été marchand d'art aux Etats-Unis, deviendra l'un des meilleurs amis d'Adolf Hitler en personne et un nazi de la première heure pour terminer sa vie dans la disgrâce et la trahison qui lui vaudront paradoxalement sa réhabilitation à la Libération. Confus, tout est confus dans la vie de ce pianiste virtuose bavarois, chassé d'Amérique pendant la Première Guerre Mondiale, amoureux de Wagner qui accueillera le futur chancelier Hitler à Munich au sein de la maison familiale avant et après l'incarcération, l'empêchant même via sa femme de se suicider après le déshonneur du putsch raté et qui croira en lui de manière aveugle et quasiment amoureuse. Paradoxal, tout est paradoxal chez ce clown bon vivant, rieur et mondain, ni tout à fait allemand, ni tout à fait américain, ni tout à fait philosémite, ni tout à fait antisémite, ni tout à fait favorable à la démocratie, ni tout à fait favorable à la dictature et dont l'amour éperdu pour Hitler, dans lequel il voit la réminiscence d'une transcendance allemande perdue, symbolisée par la musique de Wagner, les montagnes bavaroises et la figure du souverain Louis II, le mènera à un dépit amoureux profond qui le poussera à trahir le Führer en fournissant des informations à Roosevelt. Grand hitlérien, il est en fait un piètre nazi : un civil parmi les paramilitaires, un ennemi juré de Goebbels, un Secrétaire d'Etat à responsabilité limitée dans le gouvernement hitlérien, rescapé de justesse de la purge des SA, victime d'un canular ayant les atours d'une tentative de meurtre, fraternel envers les Juifs Américains et pour finir un pleutre en fuite attendant, pathétique, des excuses qui ne viendront jamais. Dans cette vie romanesque et ô combien tragique, c'est la pitoyable image d'un amour désespéré pour un homme, un Guide, qui, après la Nuit des Longs Couteaux, et comme beaucoup d'homme d'Etat, cherche à se débarrasser des fidèles de la première heure et de son passé trouble : une connivence suspecte avec le chef homosexuel des SA Röhm, l'image de sa faiblesse des années de militantisme pour se donner une nouvelle image quasi divine. Putzi, l'homme qui jouait du Wagner sur commande pour Hitler, faisait partie de ceux là. Croyant en la possibilité de son retour en grâce jusqu'au dernier moment, il finira par trahir son Adolf, de mauvaise grâce plus que par conviction. A la lecture de cette biographie, difficile de ne pas avoir l'impression de découvrir la vengeance d'un amoureux éconduit plutôt que d'un véritable nazi repenti. Putzi, même pas un opportuniste : un homme simplement abandonné, bafoué, blessé, brisé.


Mais il y a dans ce personnage gargantuesque et désespéré quelque chose de vraiment troublant, dont l'amoralité (et non pas l'immoralité) transparait à chaque page. Dans une guerre à la fois raciale et nationale, Putzi n'est ni tout à fait allemand, ni tout à fait américain, ni tout à fait nazi. Wagnerien, puis Hitlérien, les deux concepts fonctionnant ensemble, uniquement. Il est celui qui a soufflé à Hitler l'idée d'une alliance des peuples nordiques (Angleterre, Etats-Unis, Allemagne) retrouvée dans Mein Kampf, celui qui a tenté sans succès de faire rencontrer Hitler et Churchill (ce que ce dernier a toujours voulu cacher), celui qui a voulu lier l'extrême droite britannique et américaine à l'extrême droite allemande (ce qui a bien failli avoir lieu et l'idée était partagée par un nombre impensable d'élites de l'époque dans ces pays) et celui qui a cru, jusqu'à la bêtise, à la possibilité d'un régime nazi modéré. Il est troublant parce qu'il nous ramène à cette idée toute simple : tout homme pouvait être tenté par le nazisme et en être charmé. Quand il vit Hitler pour la première fois, il fut estomaqué à n'en plus dormir : lui, petit germano-américain sans avenir et sans patrie, il avait trouvé la voie. Et pour bien le comprendre, c'est dans la musique de Wagner qu'il faut aller chercher la réponse par cet idéal germanique transcendant qui a à la fois tant charmé Putzi, tant charmé Hitler et tant charmé des Allemands humiliés par une Première Guerre Mondiale ahurissante. Dans le livre, l'un des cinéastes auteurs d'un film sur le Führer va même jusqu'à dire que l'Allemagne n'a été réellement elle-même qu'une seule fois : sous Hitler. Thomas Snegaroff démontre avec une certaine virtuosité que beaucoup, bien au-delà de l'horreur des crimes nazis, ont dissocié Hitler de cette dernière, notamment la petite fille de Wagner dans un entretien glaçant à propos d'un homme charmant qu'elle accueillerait les bras ouverts s'il revenait à la vie. Chez Putzi, qui a fréquenté Hitler des années durant et qui le dit haut et fort, même son de cloche : cet homme est influencé par Goebbels et les SS. Comme une éponge, il n'a été rien d'autre qu'influencé, pense donc Putzi : un homme bon, (quasiment homosexuel croit-on lire entre les lignes, notamment quand on pense à sa relation avec le chef des SA et de certains points biographiques étranges). Quand Putzi, devant les juridictions britanniques puis allemandes, pour sa survie, disait qu'il avait voulu raisonner Hitler : sans doute mentait-il sur la véracité historique de ses efforts, étant donné que le Chancelier ne voulait plus le rencontrer dès 1934, mais peut-être y croyait-il vraiment. Cet Hitler qui, selon Putzi, prenait la foule car il ne pouvait prendre femme, a cela de fascinant qu'il semble, de manière inquiétante, être le réceptacle d'une forme de croyance presque aveugle pour les esprits qui l'ont rencontré. N'est ce d'ailleurs par la la définition du fanatisme ? La croyance, la foi avant la Raison ? N'est ce pas le fanatisme, bien plus que le vernis idéologique, qui conditionne le totalitarisme ? Le livre de Snégaroff prend alors une dimension glaçante, pour l'Allemagne d'abord et pour l'Humanité ensuite, et se résume à cette idée : "pas nazi, non, mais hitlérien, oui".

PaulStaes
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le 17 mars 2021

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Paul Staes

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