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Porcelaine
7.4
Porcelaine

livre de Estelle Faye ()

Au début je voulais appeler la critique « Le tigre ne sourit qu’à moitié ». Mais il aurait fallu expliquer d’où venait la référence, parce que c’était pas évident. Il fallait donc mettre toute la citation (qui est d’ailleurs plutôt raccord avec le livre). Mais c’était long. Et puis c’est un lion à la base, pas un tigre. Donc c’était forcé. Et puis le livre en valait-il vraiment la peine ? Mais je vais quand même mettre la citation complète. Parce que c’est beau d’abord. Parce que ça résonne étonnamment bien avec le livre aussi.
Ah oui, sinon, ça va spoiler sec.



« Un seul de tes poignets est tatoué
Défiguré par ta manche
Le lion ne sourit qu'à moitié
A mes solitudes immenses
Ton visage ne sera jamais entier
Comme tu regardes au dehors
J'emporte un portrait dévoré
Douleur destin bord à bord »



Christine and the Queens, « Saint-Claude », Chaleur humaine



Le poignet : Brume et ce bracelet qui enferme son pouvoir. La manche renvoie aux costumes des comédiens, brodés par Li Mei. Le tigre, c’est Xiao Chen, bien sûr, dont le visage n’est pas entier parce qu’il est changeant, condamné par un sortilège. Portrait dévoré, faux, triste, cherchant sa place. La solitude est bien sûr celle d’un homme qui vit des centaines d’années à la poursuite d’un destin. Le tatouage comme le masque de Xiao Chen, celui des comédiens sur scène et qui renvoie au monde du théâtre.


Fin de l’aparté, trêve de conneries.


Ce livre est intéressant, son histoire est plutôt sympathique et la lecture est facile. L’idée d’un héros qui traverse les époques est bonne, elle a déjà maintes fois fait ses preuves, en témoignent les elfes de Tolkien, par exemple. Raconter une histoire millénaire, ça déchire, encore faut-il avoir de quoi remplir les siècles qui passent. Faire des ellipses n’est pas interdit, c’est même indispensable si on veut faire un livre de moins de 10k pages. Le livre est organisé selon trois actes et 1500 ans séparent le premier du deuxième. Mais le troisième a lieu seulement 6 mois après le deuxième, qui a lui-même vu, dans ses dernières pages, trente ans s’écouler. Pourquoi ne pas avoir renvoyé ces trente années, évacuées, du reste, en quelques lignes, au début de la troisième partie ? C’est du détail, mais c’est un peu gênant.


Tant qu’on est sur le rythme, le découpage des paragraphes est pour le moins étonnant, voire déroutant. Il n’est pas nécessaire de changer complètement de thème quand on passe d’un paragraphe à l’autre, mais quand on saute une ligne, on s’attend, sinon à investir un autre théâtre d’action, du moins à avoir soit une ellipse temporelle, soit une modification quelconque de la situation. Cependant, il semble que le découpage soit ici arbitraire, tout comme celui des chapitres (qui n’en sont d’ailleurs pas vraiment), qui scandent artificiellement la progression.
Les ellipses, quand il y en a, sont parfois malheureuses. Elles viennent bousculer une action qui aurait gagné à être un peu plus développée, et empêchent souvent à l’ambiance de s’installer. On passe à autre chose sans avoir laissé au lecteur le temps de prendre la mesure de ce qui venait de se passer.


L’auteure a du mal à rendre le fond de son intrigue vraiment palpitant (mdr parce que c’est un cœur le fond de l’intrigue, t’as compris). Xiao Chen et Pieds-de-Cendres, qui ont tous deux plus de mille ans, n’ont pas l’air d’avoir plus d’expérience que les autres, ils sont aussi soumis aux passions, aux vices, aux aléas du temps que les autres. Il y a des codes de la fantasy auxquels il est difficile de déroger. Il pourrait être pertinent d’en faire des humains tout aussi faibles (voire plus) malgré (ou même à cause) le poids des années. Mais leurs tares sont indépendantes de leur âge (quoique Pieds-de-Cendres laisse voir une certaine aigreur qui accompagne la vieillesse) et n’ont rien à voir avec le fait qu’ils aient vécu à des époques reculées. Époques qui n’ont apparemment laissé aucune trace sur eux : leur caractère ne bouge quasiment pas, ce qui est probablement dommageable à l’intrigue. Les évènements pourraient tous se passer en quelques années qu’on ne verrait pas la différence.


Cet ouvrage se trouve à la confluence entre le récit d’aventure, le roman d’initiation et l’épopée fantastique, mais malheureusement ne remplit aucun de ses contrats, avortant ses partis pris trop tôt. Tout le début de la première partie, quand le héros est jeune, construit une ambiance très sympa ; et le fait qu’il rejoigne la troupe de théâtre pourrait apporter une profondeur intéressante au propos. Mais l’initiation est éludée, au profit d’une nouvelle intrigue pesamment introduite : Pieds-de-Cendres veut vérifier si la légende de l’immortalité est vraie. Les éléments perturbateurs et les péripéties sont rarement bien justifiées, et surviennent assez lourdement.


Un des problèmes, selon moi, réside ici : les motivations des personnages ne sont pas claires. Cela peut constituer une force, les rendre humain et nous empathiques, se débarrasser du manichéisme. Mais ça ne prend pas, parce qu’ils virent de bord de manière incessante (Pieds-de-Cendres en est le meilleur exemple, mêmes si Xiao Chen n’est pas en reste). Les personnages féminins de Li Mei et Brume-de-Rivière sont beaucoup plus solides de ce point de vue. Brume-de-Rivière, même si c’est un peu cliché, est mue par son amour impossible, Li Mei par une force de caractère qui mélange amour, fascination et une personnalité bien dessinée. Sans pouvoir et de 1500 ans la cadette, elle est beaucoup plus profonde que les trois autres réunis.


Il y a quand même des idées intéressantes (sinon je ne serais pas allé au bout) : on voit régulièrement poindre une atmosphère sûrement propre à la Chine, médiévale au début, moderne et presque contemporaine à la fin. La broderie, la poterie et la porcelaine, le théâtre, la magie (qui s’évapore avec le temps) sont autant de thèmes qui donnent du corps au livre. Et la fin n’est pas si mauvaise.


On note, par ailleurs, un certain nombre de fautes dans le texte : de frappe, d’orthographe, d’accord, de syntaxe. Il faut peut-être blâmer la maison d’édition. Quoique s’il n’y avait pas eu de faute à la base, il n’y aurait pas eu à les corriger. C’est vraiment dommage et ça fait tiquer à la lecture.


Et dieu que cette première de couverture est laide !

Menqet
5
Écrit par

Créée

le 7 juil. 2017

Critique lue 285 fois

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Menqet

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