Ce roman de type "journal" ( ou "carnet") débute une nouvelle série jeunesse où le protagoniste est un anti-héro. Ça se veut surtout drôle, mais au-delà de l'humour caustique, parfois noir même, je note une profondeur et des sujets pertinents.


Bon d'abord, à quoi avons-nous affaire exactement? À un démon et contrairement à ce que suggère cette couverture plutôt moche, rien à voir avec cette espèce d'ectoplasme vert savon qui le représente. RZSQSODIUFQSX - ça s'écrit comme ça s'éternue - est un démon immatériel et comme ses semblables, tentent de rependre le mal. Mais il n'est pas particulièrement heureux de sa condition de démon "pour enfant" et un jour, son "boss" lui promet une promotion chez les démon "pour adultes" s'il parvient à corrompre une jeune fille en particulier. Anne-Fleur est une jeune fille qui se refuse à blesser autrui , à désobéir ou à profiter des faiblesses des autres. "une bonne fille", comme on dit. Indécrottablement bonne, au grand damne du démon. Après quelques tentatives infructueuse de lui faire commettre quelque acte méchant ou égoïste que ce soit, il va devoir passer à un stade supérieur: l'incarnation. C'est dans la peau de Raymond, "pauvre petite orphelin" placé en famille d’accueil que notre démon va enchainer les manœuvres les plus loufoques - et malveillantes - afin de pousser Anne-Fleur "du côté obscure", sans réaliser que si le mal peut déteindre sur le bien, forcément, l'inverse est aussi vrai. Et quand les premiers sentiments amoureux s'en mêlent, Raymond pourrait voir sa meilleure opportunité de corruption se retourner contre lui.


On nage dans un gros bazar de contrastes dans ce roman, parce qu'il nous amène sur la frontière du Bien et du Mal, mais pour une fois, du point de vue du Mal. On y retrouvera donc les traditionnels archétypes limite stéréotypes tels que "le Bien est sage et prudent" vs le Mal est "cool et audacieux". Évidement, ça n'a rien à voir, et on le voit plutôt bien. C'est surtout une question de confiance en soi, la "coolitude", au final. Aussi, on y trouvera les nuances entre les"intentions" vs les actions qui sont clivés entre Bien et Mal. Du genre "Si l'intention est bonne, mais l'action mauvaise, de quel côté sommes-nous?" C'est un peu ça l'idée générale de ce genre de roman: affronter les nuances de gris qui occupent beaucoup plus de place que le Blanc et Noir aux extrêmes du spectre des comportements et des intentions.


La narration aussi est très amusante, car elle implique le lecteur. Elle sollicite même son opinion plusieurs fois, une bonne façon de pousser à la réflexion. Et parfois, Raymond nous insulte ( réveille toi paresseux!) ou nous félicite pour nos mauvais comportement , comme au début, où nous félicite de manger des bonbons en lisant le livre.


En fait, Raymond passe beaucoup de message avec la bonne vieille psychologie inversée: il félicite des comportements néfastes en soulignant les inconvénients qu'ils impliquent, par exemple. "J'aime que les jeunes fument tôt, ça les fait vivre moins longtemps", nous dira-il. Alors en matière de message, on est servis et à toutes les sauces: technologie abusives, émotions négatives, la plupart des vices et défauts salués, l'environnement, les stéréotypes de genre ( ah, oui, ils m'ont bien fait rire ceux-là!). En fait, Raymond met de l'avant justement les tendances manichéennes des enfants, spécialement les jeunes ados.


Un point moins évident, à priori, mais qui ne m’échappe pas, est la critique de "L'utra-bien". Je m'explique. Tout comme être très méchant est un extrême non-souhaitable, être trop gentil l'est aussi. Pourquoi? Parce les deux extrêmes sont nocifs et nuisibles. Hein? Remarquez par exemple Anne-Fleur et son "amour" pour Ryan ( le fils de la famille d’accueil de Raymond) est basé, comme l'a d'ailleurs noté Raymond, sur la pitié. Aimer sainement ne devrait jamais impliqué la pitié. Or, c,est ce que fait Anne-Fleur, qui dans son infini gentillesse, sort avec le garçon dont personne ne veut. Anne-Fleur a eu aussi du mal à verbaliser certaines opinion parce qu'elle craignait de faire du mal. Bref, Anne-Fleur est "trop bonne" et ça lui nuit. Et j'apprécie que l'auteur l'ait abordé et mit en évidence, parce que si on nous bombarde de toute part que "le mal est Mal", et bien, rarement on évoque que le "trop bien" est "mauvais".
D'ailleurs, Raymond, aussi convaincu d'être l'incarnation du Mal qu'il soit, fait le "bien" sans même sans rendre compte. Parce que Bien et Mal, au final, dépend aussi du regard des autres.


Dernier point: j'aime la manière dont l'auteur utilise l’aspect très superficiel des amours de pré-adolescents. Il s'en moque largement et c'est très drôle, parce que c'est aussi très vrai. Sortir avec un gars parce qu'il est "beau", c'est vraiment le comble de la superficialité.


Il y aussi dans la famille de Raymond de quoi rire. Ryan est ce qu'on appelle un "enfant tyran". Si l'enfant Roi était un pokémon, il évoluerait en "enfant Tyran", soit "l'enfant qui a le pleins contrôle de la famille et manipule les parents à ses propres fins". C'est pathétique à lire. Et bien sur, Raymond trouve ça génial.


Je souligne que l'humour est à prendre au second degré. Et que ce roman est l'un des plus drôle que j'ai lu. Sans doute parce que dans tout ce récit en Clair-Obscur se dessine aussi des formes très reconnaissables. Que ce soit notre propre passage à l'école pour les plus vieux où le présent pour les jeunes lecteurs, on peut tous s'y retrouver dans les constats - pas toujours très gentils - de Raymond. Ou tout simplement parce que Raymond dit tout haut ce que nous pensons tous tout bas.


C'est donc une très sympathique lecteur, qui allie savamment l'humour à la pertinence - parce qu'il y a curieusement pleins de trucs sérieux derrière ce livre pas très sérieux - avec un récit qui bouscule les conventions entre Bien et Mal et se rit des stéréotypes, pour notre plus grand bien et notre plus grand plaisir.


Pour un lectorat du troisième cycle primaire, environ ( 10-11 ans).


À voir!


*Il y a des dessins dans le roman, qui ne sont pas très beaux et qui donnent une forme bizarre à Raymond - surtout que dans le roman, il est soit immatériel , soit en pleins délire de création démoniaque, avec tous les attributs typiques: cornes, queue fourchue, ailes noires, yeux rouges et autres trucs débiles traditionnellement attitrés aux démons. L'image de la page 205 est donc totalement erronée. Et ce niveau de dessin ne convient pas au lectorat du troisième cycle - mon ( impertinente) opinion, bien sur.

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le 4 avr. 2021

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Shaynning

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