De l'excellent côtoie du moins bon, ce qui n'enlève rien au fait que ce livre vaut vraiment la peine d'être lu, surtout si vous commencez des études de SHS.

Parmi les points positifs du livre :

1) Il propose une formule claire et explicite d'un paradigme qui unifie l'ensemble des travaux de sociologie. Celle-ci est la suivante : "Dispositions incorporées dans des contextes d'action passés (X) + Contextes d'action présent (Y) = Pratiques (Z)". Avec cette formule en tête, en la faisant varier (certains ne gardent que X, d'autres que Y, d'autres une variété précise de Y), Lahire nous fait comprendre tous les projets théoriques en sociologie des soixante dernières années ;

2) L'auteur propose une argumentation riche et développée des thèses de Pierre Bourdieu, ce qui éclaire à la fois les positions théoriques de ce dernier et celles de Bernard Lahire. Il y a une discussion serrée de plusieurs concepts centraux chez Pierre Bourdieu (la notion d'habitus, celle de champ...). Lahire fait l'effort d'amener de la rigueur dans le modèle théorique de Pierre Bourdieu, qui pèche par son excès de fioritures littéraires et de flou conceptuel. En distinguant l'habitus comme un cas particulier de patrimoine dispositionnel, et en ramenant la théorie des champs à une théorie d'un sous-espace social, Lahire remet de l'ordre dans le vocabulaire de Pierre Bourdieu, utilisé à tort et à travers dans la littérature sociologique contemporaine. Bref, ça c'est vraiment LE point fort du livre, car on sent que Lahire a eu une lecture très approfondie de Pierre Bourdieu ;

3) Enfin, le livre offre une synthèse intelligible, à partir d'une question théorique intéressante (celle du contexte d'action présent à étudier lorsque l'on fait une étude sociologique), de la plupart des travaux proposés en sociologie. C'est un plaisir d'avoir un "fil conducteur" qui rend compréhensible les points communs et les divergences entre plusieurs écoles sociologiques. Moi qui n'ai jamais bien compris les spécificités du courant "pragmatiste" (flemme de vérifier si l'orthographe est correcte), quel ne fut pas mon soulagement d'apprendre, en lisant ce Lahire, qu'il n'y a en fait pas grand chose à comprendre.

Dans le moins bon :

1) Bernard Lahire se répète à de nombreuses reprises... Beaucoup de passages sont inutiles et alourdissent ainsi la lecture. C'est vraiment dommage. J'ai du mal à saisir la cause de ce phénomène. "Tout se passe comme si" (lol) le livre n'avait aucune organisation rationnelle, et que l'auteur avait mis côte à côte des passages écrits indépendamment les uns des autres. Bref, ce n'est pas assez peaufiné : les introductions introduisent très mal et les conclusions ne concluent pas, elles abordent des sujets totalement différents...

2) De nombreux passages sont très peu argumentatifs. Il y a un côté dogmatique à certaines thèses soutenues par Lahire. Par exemple, lorsqu'il défend la thèse d'un réalisme ontologique couplée à un constructivisme théorique, celle-ci est répétée à longueur de pages, sans que nous puissions vraiment identifier des arguments en faveur de cette thèse.

3) Dans plusieurs passages, même si on est loin du niveau de Pierre Bourdieu, il y a clairement un manque de rigueur sur la définition des concepts employés. En quelques mots, on bâcle la définition de termes clés, et il est impossible d'en trouver une expression claire et rigoureuse ailleurs dans le livre. Les concepts de dispositions et de compétences sont à peine intelligibles, tant les définitions proposées sont lapidaires. De même, il n'y a qu'une ligne consacrée à la définition des champs en situation d'"autonomie-spécificité" et d'"autonomie-indépendance". Pourtant, cette distinction est centrale pour comprendre la thèse défendue par Lahire...

En gros, si j'avais un conseil à prodiguer, commencez par lire du Lahire, never du Bourdieu. C'est plus conforme aux exigences d'écriture scientifique, et ça explique mieux la théorie de Bourdieu que Bourdieu n'a su le faire lui-même. Et enfin, ça donne une vision d'ensemble claire et homogène de la plupart des travaux contemporains de sociologie.

AssiaHa
8
Écrit par

Créée

le 7 août 2022

Critique lue 47 fois

4 j'aime

Assia Ha

Écrit par

Critique lue 47 fois

4

Du même critique

Le Savant et le populaire
AssiaHa
3

Une torture...

Si le terme de torture est sans doute excessif pour décrire le rapport que j'ai entretenu avec cette lecture, je dois avouer qu'il s'en approche. La vallée des larmes Disons que ce livre incarne de...

le 6 août 2020

7 j'aime

4

L'Éthique aujourd'hui
AssiaHa
8

Faut pas pousser mémé dans les orties !

Finalement, une oeuvre sous notée, c'est encore plus agaçant qu'une oeuvre surcotée. Je prends donc la plume, et je décide de défendre publiquement ce petit livre de Ruwen Ogien. Rentrons direct...

le 3 nov. 2019

6 j'aime

Le Métier de sociologue
AssiaHa
4

Quand sociologie et pédantisme ne font qu'un...

Bon, je préviens d'avance, je fais rarement dans la demi-mesure, y a qu'à voir la gueule du statut que j'ai posté sur ce bouquin. Pour autant, comme j'essaie (du mieux que je peux) d'adopter une...

le 11 mai 2020

6 j'aime

2