Une analyse complète et nuancée du modèle socio-économique allemand

Un ouvrage salutaire qui met en lumière les points forts et les faiblesses du modèle socio-économique de nos voisins d'outre-Rhin. Guillaume Duval ne se pose ni en laudateur ni en pourfendeur, mais bien en expert qui tend à offrir une analyse la plus objectif possible. Le résultat est équilibré, rigoureux et quasi-exhaustif.

On y découvre tout d'abord les fondements historiques de la puissance industrielle allemande et les racines culturelles de ce modèle économique très différent du nôtre. La réunification tardive du pays en 1871, l'organisation plus équilibrée du territoire, un rapport plus étroit à la nature, l'influence de penseurs économiques imprégnés par le rigorisme protestant, une foi ébranlée dans l'interventionnisme étatique depuis l'expérience nazie... Autant d'éléments qui ont façonné l'Allemagne que l'on connaît aujourd'hui.

On y découvre ainsi une économie qui présente aujourd'hui un certain nombre de différences majeures avec la France. La protection sociale y est bien plus réduite que chez, la prise en charge des jeunes enfants par des structures publiques est quasi-inexistante, les femmes sont souvent cantonnées au foyer ou sous-payé par rapport aux hommes (encore plus qu'en France), les minijobs à 400€ par mois et sans droits à la retraite y sont légions... En contrepartie, les syndicats et le patronnant ont développé un véritable système de coopération au sein des entreprises, notamment avec la généralisation du système de Mitbestimmung (gestion paritaire) qui permet une excellente représentation des salariés dans les entreprises, allant jusqu'à leur attribuer des places dans les conseils d'administration.

Dans un second temps, Guillaume Duval démonte le "mythe Shröder", selon lequel l'ex-chancelier aurait révolutionné l'économie allemande à grands coups de politiques d'austérité, de privatisations, de flexibilisation du marché du travail et de mise sous pression des salariés. Au regard des indicateurs économiques, cette politique a été un fiasco amenant une baisse du PIB, une augmentation du chômage et des inégalités dans le pays. La politique d'Angela Merkel, paradoxalement plus sociale que celle de son prédécesseur pourtant président du SPD (parti socialsite allemand), a finalement permis de redresser l'Allemagne et de ramener sa prospérité économique à ce qu'elle était au début des années 2000.

L'auteur ne manque pas non plus de défaire certains mythes, comme celui qui prétend que la réunification de l'Allemagne aurait pesé très lourd sur l'économie du pays. En réalité, si les années 90 ont été un peu difficile pour l'économie allemande, la politique mené par Helmut Kohl a permis à la RFA et à la RDA d'accorder leurs violons et de lancer un rééquilibrage quasiment atteint aujourd'hui. Mais surtout la réunification a offert un marché intérieur élargi pour les entreprises d'Allemagne de l'Ouest, ainsi qu'un terreau fertile pour l'implantation de nouvelles usines. De plus, la migration de la capitale de la RFA de Bonn à Berlin a fait basculer l'équilibre du pays vers l'Europe centrale et orientale, permettant au pays de reprendre tout son poids dans cette traditionnelle zone d'influence. Quand l'Union européenne s'est élargie en 2004, l'Allemagne a largement bénéficié des opportunités qu'offraient ses pays en termes de main d'oeuvre à bas-coût et de demande en biens d'équipement et en automobiles.

En somme, un ouvrage qui bat en brèche un certain nombre d'idées reçues et permet de percevoir avec plus d'acuité les subtilités du modèle allemande. A l'exception de quelques passages où Guillaume Duval tire des conclusions un peu hâtives (quand il explique, par exemple, que parmi les raisons pour lesquelles les Allemands font moins d'enfants il y a leur profonde conscience écologique) et de quelques saillies humoristiques qui relèvent du cliché au risque de décrédibiliser certains passages ("et on peut faire confiance aux Suisses en ce qui concerne le patrimoine financier !"), "Made in Germany" est un ouvrage sérieux et référencé.