Qui fut vraiment Hans Asperger, celui dont le nom qualifie aujourd’hui un syndrome autistique ? La réponse à cette question se trouve en grande partie dans le livre d’Edith Sheffer, Les Enfants d’Asperger, sorti dans sa version originale en mai 2018 puis dans une version française en 2019, sous-titrée Les dossiers noirs des origines de l’autisme. Le livre se base partiellement sur les recherches de l’historien Herwig Czech condensées dans une étude parue dans le journal Molecular Autism.


« Ne dites plus « Asperger » » : voilà une phrase que l’on entend depuis quelques temps dans les médias, de la part de spécialistes de l’autisme. Je l’ai moi-même entendue lors d’un rendez-vous chez une psychologue, lors d’une recherche de diagnostic, sans que je ne comprenne réellement les raisons de l’abandon de cette appellation. Par la suite, j’ai découvert que ce débat sur la dénomination du syndrome avait été en partie relancé par la parution de cet ouvrage, retraçant l’histoire et le parcours de Hans Asperger, psychiatre autrichien qui donna malgré lui son nom au syndrome d’Asperger (c’est en fait Lorna Wing qui proposa cette appellation en 1981 en se penchant sur les travaux du psychiatre). Le livre, grâce à un gros travail de recherche historique, met en lumière la face sombre du Dr. Asperger, artisan de la politique d’euthanasie des enfants dits “anormaux” mise en oeuvre par les nazis.


Professeure d’histoire à l’université de Berkeley, Sheffer explique, au début du livre, comment Hans Asperger créa la notion de psychopathie autistique et son arrivée dans un service de pédagogie curative dans la clinique pédiatrique de Vienne. Pour différencier les enfants, il s’appuyait sur le concept du “Gemüt”, qui correspond à la capacité des individus à nouer des liens sociaux. Selon le programme d’euthanasie des enfants, les carencés en Gemüt étaient envoyés au Spiegelgrund, centre de “soins” où ces derniers trouvaient la mort. Le livre révèle que Asperger a été impliqué dans le transfert d’au moins 44 enfants. Le but, caché sous plusieurs prétextes, était toujours le même : purger le Reich des citoyens indésirables.


Un chapitre détaille aussi la différence de traitement entre les filles et les garçons. Alors que les difficultés relationnelles et autres bizarreries des garçons étaient interprétées par Asperger comme une psychopathie autistique qui demandait beaucoup d’attention, celles des filles étaient plutôt considérées comme des signes d’hystérie liés à leurs cycles menstruels. Jugées moins intéressantes, elles étaient envoyées au Spiegelgrund. Cette différence en fonction du genre est tout à fait actuelle. Comme le souligne Josef Schovanec dans sa (remarquable) préface, on n’a jamais autant parlé de l’autisme féminin qu’aujourd’hui. D’ailleurs, l’idée selon laquelle il existerait une fille autiste pour quatre garçons a été largement remise en question ces dernières années, les filles étant moins bien diagnostiquées et passant plus inaperçu.


Le livre se termine sur un épilogue alertant sur le danger de la classification. Le point de vue du fils autiste de l’auteure, présent dans les remerciements, rejoint cette idée en proposant de mettre un terme aux étiquettes. C’est cette difficulté à établir des frontières entre les différents troubles qui a surtout conduit à l’abandon de l’appellation du syndrome d’Asperger dans les dernières versions des classifications internationales, et non pas seulement les apports historiques d'Herwig Czeh et d'Edith Sheffer (qui ont surtout relancé le débat). On ne parle donc plus de “syndrome d’Asperger”, mais de “trouble du spectre autistique sans déficience intellectuelle.”


En considérant qu’il y a environ 1 personne sur 150 en Belgique présentant des troubles du spectre autistique (TSA), sans compter tous ceux qui l’ignorent, on est tout à fait en droit de penser qu’il n’y a jamais trop d’œuvres sur le sujet, surtout quand elles sont historiques. De plus en plus de livres sur les TSA jaillissent et l’on ne peut que s’en réjouir, mais la plupart sont des guides actuels pour comprendre le syndrome d’Asperger ou des témoignages variés sur des vécus personnels. En revanche, il existe fort peu d’œuvres sur les origines de l’autisme, ce qui fait des Enfants d’Asperger, une ressource essentielle pour quiconque veut s’y intéresser. La lecture est effrayante et parfois difficile mais aussi nécessaire. Richement documenté, le livre plaira aux amateurs d’histoire, de psychiatrie ou à toutes les personnes directement concernées par l’autisme.

vanhye
8
Écrit par

Créée

le 5 avr. 2020

Critique lue 67 fois

5 j'aime

vanhye

Écrit par

Critique lue 67 fois

5

Du même critique

Nouvelle Star
vanhye
7

Cagoles cosmiques et érections capillaires

Je dois défendre la Nouvelle Star parce que j'entends trop de gens critiquer cette émission sans la connaître vraiment, ou pire, la comparer à la Star Academy alors qu'en dehors du fait que ce sont...

le 17 mai 2014

16 j'aime

6

Lettres à un jeune poète
vanhye
9

"Quand un prince va parler, on doit faire silence"

"Les oeuvres d'art sont d'une infinie solitude; rien n'est pire que la critique pour les aborder. Seul l'amour peut les saisir, les garder, être juste envers elles." C'est une critique sans en être...

le 31 mai 2014

15 j'aime

1

Boyhood
vanhye
7

"Prière de ne pas se bercer d'illusions trop près du mur"

Boyhood m'a minée, complètement. Il m'a déprimée, je suis sortie du cinéma en ayant l'impression d'avoir une vie lourde, vide de sens, basique, normale, alors que j'attendais tout l'inverse. Je...

le 18 juil. 2014

13 j'aime