Roman inachevé

Écrire (avec le langage donc) sur l'en-deçà du langage m'a toujours paru un des plus grands tours de force (pour ainsi dire) que puisse nous donner la littérature.
Il y a parfois des rencontres littéraires qui font surgir ce paradoxe. Je viens de lire un passage des Pissenlits de Yasunari Kawabata qui en est l'exemple.
Pascal Quignard, qui joue cette musique-là depuis qu'il écrit, et avec un talent inégalé, connaît sans doute le roman, mais comment en être sûr ?
Le passage a trait à l'amour que se portèrent hommes et femmes avant le langage et se conclut sur l'intuition que cet amour-là était moins appauvri encore que le nôtre, si orné de mots fleuris.
Le roman, quant à lui, est court, plutôt une novela. Comme souvent chez Kawabata, on s'y promène beaucoup, en décrivant le mouvement des herbes et des feuillages, la mer lointaine, le bruit du vent ; mais ce texte-là est particulier pour sa recherche (délibérée) de l'obstruction devant la langue. Voyez-y autre chose si vous voulez, mais regardez quand même la différence entre ces Pissenlits (et peut-être le Grondement de la montagne) avec les autres œuvres magnifiques que nous a laissées l'admirable Kawabata.