Derrière ce titre volontairement provocateur se cachent deux choses que j'ai ressenties à la lecture de ce roman et de sa post-face : la difficulté de l'auteur à choisir entre l'intellectualisme désabusé anglais et l'humour joyeux de misère des Égyptiens, mais aussi son impossibilité à situer son écriture, son récit et la hauteur du plan de caméra entre ses principales influences, Céline et les grands romanciers russes, notamment Tchekhov.

Dans ce roman par ailleurs plutôt bien écrit, on navigue, on est ballottés entre la volonté de Waguih Ghali de donner une dimension chorale et politique à son oeuvre, et celle d'étudier en profondeur les scories de l'individu lui-même. On y voit, via Ram, héros à la Bardamu, le délitement culturel de l'élite égyptienne (qui n'a de supérieur que le nombre de chiffres de son compte bancaire) devant la politique nationalo-mollassonne de Nasser. Dans les hautes sphères, on discute mariage, conservatisme, apparat et transactions mobilières en jouant au croquet, whisky à la main, devant la jeunesse dorée internationale des années 60 venue se payer un frisson de danger au plus proche du canal de Suez dans un hôtel cinq étoiles.

Tout cela est, à mon avis, la partie la plus réussie du récit. La partie "russe". Ce qui m'a en revanche déplu c'est le messager, Ram. La partie "Céline". Ram est changeant, pleurnichard, méprisant et faussement profond. Du moins se croit-il ainsi quand personne, de ses amis ou de sa famille, ne comprend son mal-être. Cette posture victimaire du narrateur instigue en permanence un flou désagréable à la photographie qu'il voudrait nette de la société. Et cette nouvelle antienne (ho ho ho!), celle du héros incompris mais si intelligent, prémisse de la mode des autofictions, m'est assez désagréable pour la bonne et simple raison qu'elle est le témoignage voulu de la supériorité de l'auteur sur le lecteur. Or en littérature, le livre n'a que faire de son auteur. Il y autant de cigarettes égyptiennes que de lecteurs, c'est dire la taille du paquet. En imposant au lecteur les tourments amoureux, sociaux et financiers de Ram, l'auteur noie dans un océan d'autolarmes sa critique pourtant juste du gratin cairote (désolé, pas pu m'empêcher).

À titre personnel, je me serais volontiers passé de toutes ces scènes introspectives pour avoir beaucoup plus de scènes dans les lieux publics, que j'ai trouvées si bien construites et ravissantes de cynisme. J'aurais aimé la vraie perception de l'auteur sur les relations entre anglais et égyptiens au moment de la crise de Suez, qui n'est qu'évoqué dans le roman qu'en tant que catalyseur lointain d'évènements personnels. Enfin, j'aurais aimé que Waguih Ghali ne fut pas si malheureux et publie d'autres romans, car il avait malgré cette infinitésimale critique, une plume et un oeil certain.

Smaguy
5
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le 31 août 2022

Critique lue 16 fois

Smaguy

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