Difficile de juger un livre qui a eu une telle descendance fictionnelle.


Je commencerai par une mise en garde : Si vous avez aimé Assassin's Creed Black Flag, ou la série des Pirates des cacaouettes de Disney, et que vous souhaitez approfondir, ce n'est peut-être pas le livre que je vous conseillerais. L'histoire générale des plus fameux pirates est un livre qui sent son XVIIIe siècle. Defoe m'a toujours fait l'impression d'un auteur qui savait trouver de très bons sujets, avec un angle d'attaque original (de Robinson à Moll Flanders), mais qui a un style narratif désespérément laborieux et difficile à suivre. Et c'est l'impression que je retrouve dans ce livre.


A noter, avant que j'entre dans le détail, que cette édition a un point très positif (une introduction de Michel le Bris) et une grosse lacune (pas de carte, ce qui semble impensable vu le nombre de fois où certains lieux reviennent dans les récits).


L'ouvrage fonctionne par biographie, un peu comme chez Plutarque, chaque pirate illustrant en quelque sorte une facette de ces personnages révoltés, sans foi ni loi. Il y a au début une introduction, qui insiste sur le fait que le développement des pirates fut la conséquence de la guerre de course que se livrèrent les grandes puissances européennes. Démobilisés, ces soldats qui avaient pris goût à la rapine continuèrent leur propre entreprise individuelle.


On découvre que la piraterie ne se limitait pas aux Antilles : de nombreuses fois, des gouverneurs de caroline du Nord ou de Rhode Island durent armer des bateaux pour poursuivre tel ou tel fieffé coquin. Leurs courses pouvaient les mener jusqu'à Terre-Neuve ou au Brésil. Il y avait aussi des pirates du côté de Madère et du golfe de Guinée, et certains également trouvèrent refuge du côté de Madagascar et des îles proches du Canal du Mozambique. Globalement, c'est très anglo-centré : peu de pirates français, espagnols ou portugais.


Au détour d'une biographie, on découvre les codes des pirates, qu'ils signaient parfois en rejoignant un bateau, comme ne pas dissimuler de butin, ne pas se montrer lâche, obéir au capitaine. Il y a aussi beaucoup de notations drôles, comme ce pirate, juste avant de se faire pendre, qui désigne une femme dans le public et dit "J'ai couché trois fois avec cette putain et elle vient me regarder me faire pendre !". Ou encore ces pirates, cachés sur une île le temps d'attendre une réponse de demande d'amnistie, qui pour se distraire organisent une parodie de procès.


il y a aussi tous les éléments de folklore un peu connus, comme les mèches odorantes que Teach laissaient brûler de chaque côté de sa tête pour impressionner, le Jolly Roger (qui est un drapeau avec une tête de mort, un sablier et un coeur transpercé), etc...


Le schéma est souvent le même : briève notation sur l'enfance du pirate, récit de ses attaques, mort. A noter que les équipages fonctionnent par mitose : quand plusieurs bateaux sont capturés, s'il y a suffisamment d'hommes, on se divise voire on se sépare. Ce qui fait que parfois, une biographie renvoie à ce qui a été raconté plus tôt, quand un pirate était sous les ordres d'un ordre. Le Bris en fait un schéma de synthèse, mais honnêtement cela défie un peu la reconstitution.


Et c'est un peu le problème. Je ne suis pas équipé pour dire quelle est la part de fiction et celle de réalité dans l'ouvrage de Defoe (d'autres l'ont fait). Il semble s'être servi des minutes du procès de certains pirates, ainsi que de récits des officiers qui les pourchassaient. L'ouvrage insère même à la fin de certains chapitres des lettres de lecteurs qui ont été parti prenante des événements et précisent/corrigent certains faits. La biographie de chaque pirate s'apparentant parfois à un catalogue d'attaques de navires, rarement détaillées, il est parfois facile de décrocher du récit tant cela peut prendre un tour répétitif. Donc à moins de faire la lecture carte en main, en prenant des notes, sans doute vous ennuierez-vous assez vite de ce livre, dont on ne peut cependant nier la postérité.


Il reste donc que certains personnages se détachent : Stede Bonnet comme le contre-modèle du pirate pas doué. Teach, évidemment, véritable démon, qui, profitant de la couardise du gouverneur en place, subjugua une partie de la Caroline du Nord où il érigea une sorte de contre-société. Le capitaine Avery, qui se réfugia à Madagascar, où chacun de ses hommes, grâce à la supériorité des armes à feu, devint un petit potentat au milieu de la jungle, servi par des locaux. John Rackham, pirate romantique qui croise la route de Mary Read et Ann Boney (qui ont droit à leur propre biographie). Le capitaine Anstis, qui se cacha sur une île dans l'espoir d'une amnistie que jamais il n'obtînt. Ho, et si vraiment vous voulez du sanguinaire, il ne faut surtout pas passer à côté de la vie d'Edward Low. Un vrai psychopathe.


Les autres personnages sont moins saillants et leurs vies assez redondantes. Celle de Bartholomew Roberts, plus détaillée, fournit davantage de détails concrets sur la vie du bord, avec un compte-rendu de procès assez long.


Un livre qui en son temps fut une mine pour la fiction, qui n'est pas en lui-même un ouvrage d'histoire, quoi qu'il en ait, mais qui risque de décevoir ceux qui y chercheront du divertissement immédiat. On ne rentre pas facilement dedans.

zardoz6704
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le 18 févr. 2021

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