Mon objectif initial était d'écrire un texte concernant la réforme du collège et les dangers qu'elle représente. mais le sujet étant très vaste, je ne savais pas tellement comment continuer après mon premier écrit. C'est là que je remercie fortement Champignac, qui m'a mis sur le chemin du livre de Sophie Coignard.
Sur le livre lui-même : bien écrit, clair, précis, et surtout bien documenté. Sophie Coignard a mené une enquête approfondie, interrogeant des ministres de l’Éducation nationale, des hauts fonctionnaires, mais aussi des gens de terrain ; elle a lu les textes officiels et les livres. Les profs verront, bien expliqué, ce qu'ils vivent au quotidien. Et ceux de l'extérieur comprendront un peu mieux ce qui se passe à l'intérieur.


2°) La Pédagogie Reine
A la fin des années 60, la colère gronde un peu partout dans la société française. A l’Éducation Nationale également. On veut rejeter la transmission sèche et brutale du savoir telle qu'elle se pratiquait à l'époque, accusée, à raison d'ailleurs, d'inefficacité et d'inégalité.
C'est donc au nom de l'égalité des élèves que les pédagos vont prendre le pouvoir rue de Grenelle. Leur principe : que l'on soit heureux à l'école et que tous les élèves soient au même niveau. Leur doctrine : éliminer toute cause de stress chez les élèves. Des leçons sèches et directes où le professeur viendrait donner du savoir aux élèves, c'est démodé, ça ne sert à rien, ça angoisse les élèves et les empêche de progresser. Les notes, ça humilie les élèves. Les punitions ou les sanctions, c'est trop violent. La notion même de classique sent trop la poussière.
Qui sont ces théoriciens ? Une bande de hauts fonctionnaires, inamovibles, soixante-huitards, toujours convaincus qu'il est "interdit d'interdire" mais ayant bénéficié de l'ancien système éducatif qui leur a permis d'arriver là où ils sont. Ils occupent, par roulement, tous les plus hauts postes de l’Éducation Nationale (inspection générale, direction de l'enseignement scolaire, des programmes, etc.), et ce quels que soient les gouvernements. Même si leur action, depuis plus de 40 ans, a prouvé l'inefficacité, voire la nocivité de leurs théories, ils restent au pouvoir. Ce sont eux les vrais patrons rue de Grenelle, là où les ministres ne font que passer (et ne sont, à l'instar de NVB actuellement, que des porte-parole chargés de faire passer les pilules).
Désormais, sous l'instigation de théoriciens délétères comme Philippe Meirieu, l'élève n'est plus en classe pour engranger des savoirs, mais pour "apprendre à apprendre". Il doit s'auto-évaluer, argumenter son travail, négocier avec son professeur, non plus face à face mais quasiment d'égal à égal.
Les devoirs ? Trop contraignants. Et grosse source de stress également : vous comprenez, si un élève vient en cours sans les avoir faits, il est angoissé, il n'est pas heureux dans sa classe. Donc, on va les éliminer.
Les savoirs à l'ancienne sont à éliminer également. A quoi ça sert d'apprendre des dates en histoires ou des pays en géographie, je vous le demande ?
On dévalorise les différentes matières. En français, on fait bien comprendre aux professeurs que lire un mode d'emploi est aussi utile que du Victor Hugo, qu'il y a autant d'argumentation dans un texte de rap que chez Montesquieu, et que le premier qui est attrapé à faire un cours de grammaire sera sanctionné d'un rapport très négatif.


A ces problèmes pédagogiques délirants où l'on oppose de façon absurde le bien-être des élèves et leur volonté d'apprendre, va se surajouter une vision purement financière de l'EN. En gros, à partir du moment où il a fallu faire des économies sur le budget de l’État, l'EN a été visée. A juste titre, peut-être : il est vrai que les sommes dépensées sont extraordinairement élevées pour des résultats plus que douteux.
Donc, on coupe sévèrement. On réduit les heures, on réduit les postes. En 1975, un élève qui rentrait en 6ème avait 9 heures de français par semaine. En 2015, il en avait 5 heures. En 2016, il en aura 3h30.
Dans cela, il faut compter qu'on nous demande de faire énormément de choses qui n'ont plus grand rapport avec le français. résultat : il ne faut pas s'étonner si, lorsqu'ils sortent du collège, les élèves sont très loin de maîtriser un minimum de leur langue natale et des savoirs de base.
Mais tout cela, c'est pour le bien des élèves. Ces braves théoriciens (qui n'ont jamais vu d'élèves ou alors, dans le meilleurs des cas, simplement des étudiants d'élite, qu'ils ont formés à leur propre doctrine pour que le massacre puisse continuer) sont allés jusqu'à nous affirmer que l'orthographe était une source inacceptable de stress et qu'elle "devait être objet de négociation". En gros, ce qu'on nous apprenait dans les IUFM (est-ce qu'on l'apprend encore ?), c'est que ce n'est pas important si l'élève écrit mal, tant qu'il sait pourquoi (ce à quoi j'ai envie de répondre : certes, mais lorsque le patron recevra une lettre de motivation illisible et incompréhensible, lui ne cherchera pas à comprendre pourquoi on fait des fautes).
Savoir cela permet de voir d'un œil critique la "réforme de l'orthographe". Que s'est-il passé ces derniers jours ? Une réforme vieille de 26 ans, prise en compte uniquement dans les dictionnaires, resurgit d'un coup parce que l’Éducation nationale fait pression sur les éditeurs de manuels scolaires et sur les profs. Une question me taraude : n'y-a-t-il pas là une quelconque arrière-pensée ? Au-delà de questions somme toute secondaires (je crois que je n'ai jamais écrit le mot "nénuphar" de ma vie, jusqu'à ces derniers jours), il y a le fait que les tenants de "la pédagogie à la place des savoirs" ont toujours cherché, depuis plus de 40 ans maintenant, à faire s'écrouler la forteresse de l'orthographe. 40 ans maintenant que les inspecteurs nous regardent dans les yeux pour nous dire : "l'orthographe ne doit pas être prise en compte, elle ne doit pas être enseignée, l'orthographe, c'est le Mal." Et on voudrait nous faire croire que c'est un hasard si cette réforme ressort actuellement, avec les nouveaux programmes du collège qui élimine encore un peu plus l'enseignement de la langue ?
(on pourrait se demander : pourquoi une telle haine contre la langue, son apprentissage, sa pratique quotidienne ? Si vous doutez encore de l'aspect politique de tout cela, relisez 1984, formidable roman sur l'emploi du langage ; revoyez cette critique de l'excellent -pol-).


Deux arguments massues sont employés face aux professeurs récalcitrants : il ne faut pas que les élèves soient angoissés au moment d'aller à l'école, et il faut que les élèves soient tous égaux.
Et c'est bien là le plus énorme mensonge jamais proféré au sujet de l’Éducation Nationale. Asséné en boucle, cet argument de l'égalité à tout prix entraîne un corollaire dont les dirigeants ne parlent pas : au lieu d'élever les plus faibles pour qu'ils atteignent des bons élèves, on décide de rabaisser les exigences. Pour que "80 % d'une classe d'âge atteigne le niveau du bac", on donne le bac les yeux presque fermés.
Il est bien entendu évident que les élèves doivent être égaux. Il est bien entendu évident que le rôle de l'école est de compenser les différences sociales pour que tous aient la même chance de réussite. Mais tout avait déjà mal commencé avec cette affaire de collège unique : on allait confondre égalité et équité. Et tout continuera dans cette voie.
Ensuite, l'une des premières inégalités concerne l'accès au savoir. Tout le monde sait que, dans certaines familles, les enfants ont des livres à disposition, que les parents peuvent les aider ou, au pire, leur payer des cours privés, qu'il y a des sorties au musée, au théâtre, etc. Tout ce savoir, toute cette culture accumulée constitue une différence sociale que l'école se doit de compenser. Or, en rejetant la transmission des savoirs, l'école des pédagos conforte cette injustice, laissant les uns et les autres dans leur situation. Une école exigeante basée sur du savoir enseigné par des professeurs et appris par des élèves est seule garante, non pas d'une égalité stricto sensu, mais de combler les fossés creusés par les inégalités sociales. C'est cette école que les théoriciens de la Rue de Grenelle refuse catégoriquement, préférant des "projets", pensant qu'il est préférable de faire une web-radio plutôt que d'apprendre des théorèmes.
Là où le mensonge devient absolument intolérable, c'est lorsque l'on se rend compte que cette "égalité" qui entraîne un nivellement par le bas ne s'applique pas partout. L’Éducation nationale garde, bien au chaud, des nids d'élitisme assumé, avec places réservées pour ceux qui ont les passe-droits idoines. Ainsi, les quelques lycées d'excellence sur le sol français bénéficient d'une possibilité de sélectionner leurs élèves sur dossier, et personne ne vient les embêter pour les forcer à appliquer des nouveaux programmes tous plus rabougris les uns que les autres. Y-a-t-il un seul des blancs-becs d'inspecteurs qui oserait tenir, devant un prof de Henry-IV, le même discours qu'il tiendrait devant nous, en affirmant que "ça ne sert à rien de faire des leçons de grammaire" et que "au lieu de vous acharner sur Molière, qui est trop éloigné des préoccupations des élèves, pensez plutôt à des textes de chanteurs contemporains" ?
Moralité : là où elle devrait compenser les inégalités sociales en donnant du savoir, l'école au contraire les renforce par son organisation qui a visiblement pour but de préserver une élite homogène, comme un titre de noblesse héréditaire.


Allez, une dernière chose : à la fin des années 60/début des années 70, au moment où on a si lamentablement foiré la massification de l'enseignement, l'argument majoritaire des théoriciens-pédagos consistait à dire : un nouveau "public" (que ce mot est horrible lorsqu'il désigne des élèves ! à moins qu'il ne désigne leurs parents ?) va arriver dans les collèges ; ceux qui, jusqu'à présent, arrêtaient l'école à la fin du primaire vont maintenant pousser jusqu'au brevet, voire plus loin. Il faut donc adapter les enseignements pour les accueillir.
L'enchaînement d'idées est terrible de cynisme, puisqu'il consiste à mettre en doute les capacités intellectuelles de ces enfants, essentiellement issus des classes ouvrières. On nous dit : ce sont des enfants d'ouvriers, ils ne pourront pas suivre les mêmes cours que les petits bourgeois qui usaient seuls leurs fonds de culottes sur les bancs de l'école.
Donc, sous le prétexte d'égalité se cache bel et bien un des plus gros mensonges de l'ère contemporaine, et une des réalités les plus cyniques de l'état français actuel : on détruit systématiquement l'éducation et l'instruction, donc l'avenir, d'une part considérable des enfants sur de nombreuses générations, à la seule fin 1°) de faire des économies 2°) de préserver les élites.
Philippe Meirieu( et consort), fossoyeurs de l'éducation nationale.


Allez, la prochaine fois, je vous parle de la dernière pierre (en date) apportée à cet édifice monstrueux : la réforme du collège 2016. ça envoie du lourd !

SanFelice
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le 6 févr. 2016

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