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Sous la prétention cuistre, beaucoup de bruit pour rien...

Une lecture très décevante : approximation des démonstrations, recyclage de banalités anciennes, application sans vergogne de spécificités italiennes à l'ensemble de l'Occident,... Comme je n'aime pas "descendre" un livre sans expliquer pourquoi, j'ai fait une note "détaillée" à ce sujet ici : http://www.facebook.com/hugues.robert1#!/notes/hugues-robert/a-propos-du-monstre-doux-de-raffaele-simone/475702691030 Je m'explique mal l'importance donnée à cet éminent linguiste mystérieusement promu "philosophe" à sa présentation en France (ce n'est clairement pas le cas en Italie), d'abord par le journal "Le Débat" l'an dernier, puis par Le Monde ce mois-ci...

Lu par réelle curiosité après la parution d'un long article / entretien dans Le Monde 2 du 12 septembre, ce livre est très décevant. Présenté abusivement en France (par ses éditeurs ?) comme un "philosophe", Raffaele Simone est un linguiste reconnu, et un (disons) amateur éclairé en science politique. L'intérêt élevé que lui a porté l'an dernier la revue "Le Débat", et "Le Monde" en ce mois de septembre, est difficile à comprendre...

En résumant à grands traits (ce que l'auteur fait tout à fait décemment dans sa conclusion) ces 173 pages, voici ce que cela donne :
" La gauche en Occident se meurt sous le poids d'un double phénomène, la culpabilité de son héritage criminel issu du communisme au pouvoir, d'une part, et l'appropriation par la droite du "Monstre doux", à savoir une forte aspiration sociale, mondialisée, au spectacle, au fit et au fun. La situation est aggravée par le manque de vigilance de la gauche au cours des 20 dernières années car, focalisée sur l'économique et le social, elle n'a pas réalisé le hold-up "culturel" qui était en cours à son encontre. Dans ces conditions, la difficulté (dimension sacrificielle et ascétique) d'être à gauche aujourd'hui est devenue trop élevée pour la plupart des gens. Il faut inventer maintenant de nouvelles bonnes raisons d'être à gauche."

Plusieurs limites fondamentales à cet essai :

1) Prétendant parler de "l'Occident", il parle en fait essentiellement de l'Italie, et multiplie les erreurs (assenées avec aplomb) dès qu'il s'en écarte, notamment dans l'évaluation des sensibilités sociales, des contenus politiques des différentes formations, et des évolutions des 5 voire 10 dernières années;
2) Recyclant sans hésiter comme s'il s'agissait de découvertes majeures, originales et récentes François Furet (Le passé d'une illusion, 1995) sur la "culpabilité communiste" d'abord, puis Guy Debord (La société du spectacle, 1967) et Jean Baudrillard (Le crime parfait, 1995), à propos de la "mise en spectacle permanent de la société", ses seules fondations intellectuelles "lourdes" sont en réalité Tocqueville (soit), Anthony Giddens (admettons)... et José Ortega y Gasset. Cela semble bien mince (à part Tocqueville) pour envisager le destin politique de l'Occident, et ça l'est.
3) Le gros de sa thèse "négative" (essoufflement et dilution de la gauche) est déjà presque intégralement contenu dans la source suivante, qu'il cite, d'ailleurs, et qui n'était déjà pas très originale : Nick Cohen, What Is Left? How Liberals Lost their Ways, 2007.
4) Ses analyses sur la pensée de gauche "contemporaine" (c'est-à-dire, pour lui, d'après 1945) se cantonnent pour l'essentiel à Pier Paolo Pasolini.

Cela ne veut pas dire bien entendu que rien de ce qu'il présente ici ne soit pertinent. Mais le poids des approximations et des affirmations (très) péremptoires tend malheureusement à emporter tout sérieux de démonstration, pour ne laisser qu'un vague effet de curiosité... Sans parler des digressions étonnantes, ou disproportionnées (20 pages, tout à coup, sur la désolation apportée par le sens de la vue devenu tout-puissant au détriment des autres, par exemple...).

Un (bref) florilège de citations pour illustrer ce jugement :
"La limitation du pouvoir du capital, objectif auquel plus personne (excepté quelques groupes de radicaux ou obstinés) ne pense plus sérieusement aujourd'hui, pas même dans son acception la plus limitée." Amusant, si on veut, d'imaginer Benoît XVI ou Angela Merkel, pour ne citer qu'eux, en radicaux obstinés.
"Les gens migrent de la gauche vers la droite, jamais dans l'autre sens".
"Un pays qui prétend être de gauche, comme le Venezuela de Chavez".
"Il n'existe plus un seul quotidien socialiste dans toute l'Europe".
"Le conflit de classe n'existe plus qu'en Amérique latine."
"En France, l'esprit laïque donne encore des signes de vie."
"De fait, dans la majeure partie de l'Europe, la gauche, dans ses différentes déclinaisons, ressent le besoin urgent de faire oublier et presque d'expier les cruautés énormes et les folies dont grouille son histoire et de faire croire que cet héritage a été complètement effacé."
"Nulle part, la gauche n'a su prévoir la naissance de cette sorte de "despotisme culturel" moderne dans lequel nous vivons depuis plus de vingt ans." Et Gramsci, Debord, Baudrillard, Bourdieu, Jameson, Badiou, Negri, Zizek,... n'ont jamais existé ni écrit ?

La figure tutélaire qui domine, de manière d'ailleurs quasiment avouée, la "pensée" de Raffaele Simone, est celle de José Ortega y Gasset, penseur humaniste espagnol des années 20, dont le célèbre "La révolte des masses", analysant notamment, un siècle après Tocqueville, ce que finira par représenter la "société démocratique de classes moyennes", semble constituer le phare absolu guidant ce livre du linguiste italien.

On peut retenir toutefois deux choses intéressantes et importantes dans ce livre, même si elles sont mieux traitées ailleurs :
1) la description de l'appropriation politique, par la nouvelle droite mondialisée, "au sourire à dents blanches", des caractéristiques socio-culturelles de la société spectaculaire marchande.
2) le constat du "déficit de storytelling" (de scénarisation du monde) dont a fait preuve la majorité de la gauche depuis 25 ans environ.

Au total, c'est maigre pour un tel accueil fait à ce livre. Très dispensable, donc.
Charybde2
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le 2 sept. 2011

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Charybde2

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