Duane Fitzgerald est un homme augmenté. Autrement dit, un cyborg dont le corps bardé de technologie recèle des capacités insoupçonnées, faisant de lui un surhomme. Pourtant, il se terre dans un petit village de pêcheurs, situé en Irlande, goûtant à une retraite prématurée. Cela fait ainsi dix années qu’il ne s’écarte pas d’une routine minutieuse, visant à masquer toute trace de son existence, secret défense oblige. Un bien maigre sacrifice pour conserver sa liberté de mouvement. Mais, l’irruption d’un inconnu trop curieux et la lecture de Sénèque viennent remettre en question le sens de cette existence.


Voici un roman exhumé des tréfonds de ma bibliothèque où il sédimentait depuis quelques années. Le genre de bouquin sur lequel on ne mise pas grand chose et qui pourtant vous cueille par surprise. Certes, Andreas Eschbach n’est pas un inconnu dans nos contrées. De l’auteur, j’avais d’ailleurs déjà lu Des milliards de tapis de cheveux, space opera old school dont l’intérêt tient tout entier dans un twist final capillotracté, mais aussi Jésus Vidéo, thriller eschatologique haletant. En dépit des louanges entendues ici et là, les deux titres ne m’avaient pas plus enthousiasmé que cela. Ceci explique l’enterrement de première classe du Dernier de son espèce, dont l’exhumation doit plus au souci de trouver un peu de place plutôt qu’à une envie irrésistible. Le hasard est parfois facétieux.


Avec ce roman, Andreas Eschbach nous livre le testament d’un solitaire, nous dévoilant le fiasco de son existence. Un pauvre type qui, au crépuscule de sa vie, inspiré par le stoïcisme et par le modèle de Sénèque, finit par trouver la voie de l’accomplissement. Le Dernier de son espèce s’apparente en effet à un livre dont l’intrigue repose sur l’aveuglement du narrateur, longtemps persuadé de devenir un héros comparable aux personnages des séries de son enfance, en particulier L’Homme qui valait trois milliards. Mais, en guise d’aventures, il n’a connu que l’incertitude des multiples opérations chirurgicales et une mise au placard honteuse. Le super-soldat a été rendu à la vie civile, sans avoir eu l’occasion de faire ses preuves, contre la promesse de ne rien révéler du projet secret auquel il a participé.


En choisissant ce traitement, Andreas Eschbach opte pour un point de vue intime, renvoyant les exploits martiaux au rang de promesses dérisoires. Pour Duane Fitzgerald, pas d’opérations fracassantes pour mettre en œuvre ses capacités spéciales. Les amateurs d’actions spectaculaires repasseront. À la place, il faut se contenter du récit d’un surhomme confronté aux défaillances de son corps, guère préparé à supporter les implants, amplificateurs de force et autres joujoux électroniques censés améliorer sa carcasse. À la merci de la moindre erreur système, vivant sous le joug de l’entropie, incapable de consommer aliments et boissons en-dehors d’une mixture survitaminée répugnante, il ressemble davantage à un handicapé, frappé de surcroît par un processus d’obsolescence irrésistible. Condamné à la solitude, à l’ennui, il est finalement revenu sur la terre de ses ancêtres, nourrissant sous la bruine un spleen tenace, rendu supportable par la lecture de Sénèque, la perspective d’une bonne cuite lui étant définitivement interdite.


Au travers de l’échec de l’existence de Duane Fitzgerald, l’auteur allemand s’interroge sur la notion de bonheur. La technologie rend-t-elle la vie plus heureuse ? Ne constitue-t-elle pas un amoindrissement de la nature humaine, premier pas vers la déshumanisation ? Mais surtout, l’accomplissement de ses rêves d’enfant, la satisfaction de ses désirs vaut-elle le sacrifice de son existence présente ? Toutes ces questions traversent son récit cheminant petit-à-petit dans notre esprit pendant que Duane Fitzgerald voit ses dernières illusions s’effondrer sous les coups d’une réalité bien éloignée de la naïveté des rêveries enfantines. Une réalité dictée par la guerre contre l’Empire du Mal, autrefois soviétique et désormais islamiste, où tous les coups fourrés sont permis, même les plus immoraux.


Faux thriller mâtiné de science-fiction old school, Le Dernier de son espèce séduit donc par son atmosphère empreinte de mélancolie et le questionnement douloureux qu’il adresse à nos illusions de surpuissance.


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le 12 juin 2020

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