Prose et cons

Buk à déjà volé. Ses histoires à la 1e personne sont toujours vraies. "Voler sans ailes", lu comme ça, à l'air évident : tout d’abord, il faut y croire. Puis mettre ses bras comme si c’étaient des ailes, rouler des yeux, penser à la pire chose qui nous soit arrivée et dire "Solzimer".
J’ai donc tenté l’expérience au petit matin, il y a quelques mois de ça, tout en haut des potagers en terrasses de Kalimpong. Au loin, les cimes enneigées ; le temps prodigieusement clair, le sommet du Kanchenzonga anéantit l'horizon, tout près de l'éternité. Une pensée pour les bulletins météo, quand on faisait de l’optimist a l’école avec cet enfoiré de Mr Le Rest : "Visibilité 5 a 10 miles" qu'il surinait, avant de me taquiner le crâne avec sa gourmette de vieille pédale.
Puis j’ai fait comme Charlie, tout comme y disait. Solzimer, solzimer, solzimer, les bras en croix.

Je suis demeuré au sol.

Derrière, mes potes bonnes soeurs, quelques gamins en uniforme scolaire et deux trois séropositifs me regardaient, sans mot dire. Alors, j’ai refait la procédure devant eux. "Solzimer", j'ai conclu. Les enfants m’ont imité ; les sœurs et les patients ont ri sincèrement. J'ai hésité à tout leur expliquer. Peut-être qu'en pensant très fort à leur SIDA, à leurs parents morts, ou à Dieu qui renâcle à répandre sa justice... Mais le SIDA n’était peut-être pas la pire chose qui soit arrivée à ces types. Apres tout, ils étaient bien ici, loin de leurs radasses pas épilées qui les avaient foutus a la porte, et qui du reste vieillissaient en décatissant, s'effondrant de la mâchoire et des organes inférieurs.

Au repas du midi, ma pote Subeshna m’a interrogée sur ma perf' du petit matin. J’ai joué la carte de la sincérité : "J'essayai de voler." Elle a fait une drôle de tête, la nonne bleue. Puis, très tacitement: "Pourquoi pas. J'ai bien donné mon âme à un type qui croit pouvoir marcher sur l'eau." Subeshna a un humour fou. Dieu est le type le plus chanceux de la Création…

Ma tentative de décollage est un rite religieux approuvé. L'innocence des Buckowskistes...