Et je continue de découvrir la bibliographie de Ron Rash dans le désordre. Après Un pied au paradis (premier roman) et Serena (quatrième roman), son prédécesseur paraît dans nos contrées. Un fait dont je ne me plaindrai pas tant j'attends désormais avec impatience chaque livre de l'auteur américain. Une fois de plus, je ne suis pas déçu...

Le Monde à l'endroit se déroule dans le comté de Madison au cœur des Appalaches. Nous sommes dans les années 1970 en compagnie de Travis Shalton et de Leonard Shuler. Deux individus lambdas partageant le même milieu social – celui des white trash – et un intérêt commun pour la guerre civile, appelée par chez nous guerre de sécession. Un passé encore bien présent dans les esprits et que d'aucuns traînent comme un boulet, ressassant rancunes tenaces et haines recuites, génération après génération*.
Leonard pourrait être le père de Travis. La différence d'âge plaide en ce sens. Pourtant, il s'instaure entre les deux hommes une relation de confiance. Quelque chose approchant l'amitié, pour ne pas dire une fraternité de cœur.
Travis a l'avenir pour lui. 17 ans et de réelles capacités intellectuelles, il jouit d'un potentiel ne demandant qu'à s'épanouir, à surgir de la gangue d'un quotidien morne, à la lisière de la délinquance. À la condition d'échapper à la férule d'un père brutal, prompt à l'accabler de critiques plutôt que d'encouragements. Entre alcool et drogue, arrivera-t-il à se libérer de son milieu ?
De son côté, Leonard a le passé contre lui. Viré de son poste d'enseignant pour détention de drogue, il est revenu tout naturellement dans son comté natal, déchargé de sa responsabilité paternelle par sa femme, partie avec sa fille en Australie sans laisser d'adresse. Depuis, il nourrit son spleen et sa lâcheté dans un mobile home, une compagne toxicomane pour lui faire la conversation et lui adresser des reproches, dealant de la drogue et vendant de l'alcool aux mineurs. Sa rencontre avec Travis lui offrira-t-elle l'opportunité de se racheter ?

Comme je l'ai déjà dit, entre ces deux-là, une relation bien plus qu'amicale va se nouer. Quelque chose de filial, les amenant progressivement à s'apprivoiser l'un et l'autre, à dépasser leur milieu, leur passé personnel et familial.

« Tu sais qu'un lieu est hanté quand il te paraît plus réel que toi. »

Magnifique roman d'apprentissage et de rédemption, Le Monde à l'endroit se rapproche également de la manière du roman noir, faisant surgir dans la lumière les angles morts de l'Histoire et la désespérance d'un milieu social. À mille lieues des loosers magnifiques, le roman de Ron Rash nous montre surtout un monde médiocre de gagne-petit acculturés.
Durs à la peine, empêtrés dans leur préjugés, leurs combines, ils ne brillent que par leur cruauté et leur roublardise. Dans ce domaine, les Toomey, père et fils, passent pour des maîtres, incarnant la figure du mal, dans son acception ordinaire.

En contrepoint de ce drame très noir, la nature majestueuse, dépeinte avec lyrisme et poésie par Rash, offre un contrepoint salutaire à ce drame humain très noir. L'ombre pesante de la montagne, le jaillissement des rivières, les profondeurs de la forêt.
Toute cette beauté rappelle à l'homme sa petitesse. Le caractère éphémère et mesquins de son existence. Elle offre un horizon à atteindre et, qui sait, à dépasser ?

Bref, convaincu j'étais, convaincu je reste. On trouve chez Ron Rash cette petite musique faisant toute la différence entre un auteur et un faiseur.
Allez hop ! Lisez Le Monde à l'endroit, et tant qu'à faire les autres romans de l'auteur.
Et plus vite que ça !!

*Le roman de Rash évoque le massacre de Shelton Laurel, un des nombreux faits peu glorieux hantant la mémoire américaine et illustrant de belle manière la citation de Simone Weil : « L'art de la guerre a pour véritable objet l'âme même des combattants. »
leleul
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le 13 sept. 2012

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leleul

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