passage sur l'histoire des Nègres Marrons de Jamaique

Après une cinquantaine de pages sur cent consacrées aux rumeurs concernant un meurtre supposé auquel Erroll Flynn aurait participé (qui servent peut-être à sensibiliser sur le peu de fiabilité de l'histoire orale?), j'ai survolé le reste pour trouver dans ce récit de voyage vraiment pas captivant, des éléments qui m'interpellent un poil.
Ca pourra servir à ceux que le sujet intéresse.


édition Babel, à partir de la page 184


"cette cassure dans l'histoire des Marrons, et dans le sens qu'ils avaient de leur identité, m'avait été révélée, non à la Jamaique, mais aux Etats-Unis, à l'Athanaeum de Boston où je lisais Dallas, Long et Edwards. (...) les textes que Carey Robinson avait utilisés comme source pour son livre. Je ne les lisais pas tant pour savoir ce qu'il avait laissé de côté (peu de chose, pour ce qui était strictement de l'histoire des Marrons) que pour découvrir les réponses aux questions que son compte-rendu et que la réalité actuelle des Marrons - pour autant que je la comprenne - avaient sucitées dans mon esprit. C'est ainsi que j'ai voulu savoir pourquoi Juan de Bolas, le premier chef marron dont le nom soit officiellement retenu et donc peut-être le premier chef marron d'importance après que les Britanniques eurent enlevé l'île aux Espagnols en 1655, s'était placé, lui et les Marrons qu'il commandait, sous l'autorité des Anglais. Il avait ensuite aidé ces mêmes Anglais à exterminer les Marrons restants, ceux qui, dans les montagnes et le pays Cockpit, continuaient à profiter de la liberté qu'ils avaient conquise en se battant contre les Anglais avec Ysassi et l'arrière-garde espagnole. Lorsque Bolas passa du côté britannique, Ysassi fut obligé de fuir pour Cuba, laissant les guérilleros qui n'étaient pas partis avec Bolas se cacher dans les montagnes et les cockpits où nul autre qu'eux n'était capable de survivre et même de prospérer. Car c'est ce qu'ils firent, non sans organiser des descentes occasionnelles dans les plaines côtières où ils pillaient les plantations devenues anglaises, se ravitaillant, en munitions, en sel et autres denrées nécessaires. Au passage, ils libéraient aussi quelques esclaves. Et bien sûr, du fait qu'ils prospéraient là-haut dans cette jungle sans chemins, comme les cochons redevenus sauvages dont on leur avait attribué le nom et qu'ils chassaient avec grand succès, ils pouvaient donner asile aux esclaves qui avaient réussi à fuir par leurs propres moyens le système barbare des plantations que les Britanniques avaient mis au point pour produire du sucre. Leur réussite, pour les Britanniques, signifiait qu'ils devaient être exterminés.
Ils ont d'abord essayé de persuader les Marrons de descendre d'eux-mêmes, et pour ce faire, ils ont proclamé la liberté sous le régime des lois anglaises et le droit de s'installer sur les terrains de n'importe quelle région de l'île. Mais à cette époque la liberté sous le régime des lois anglaises signifiait la conscription dans les forces armées britanniques pendant toute la durée de la campagne menée contre les autres Marrons. Tel était l'accord que Juan de Bolas avait accepté pour lui-même et pour deux-cents de ses hommes en février 1660 lorsqu'il restait des Espagnols à combattre : Bolas, ou Lobolo d'après son nom africain, avait échangé la liberté dans la loi marronne contre la liberté dans la loi anglaise, la règle noire tribale contre la règle blanche impériale, la loi de propriété commune contre la loi de propriété privée. Juan Lobolo cependant, est tombé dans une embuscade tendue par ces mêmes Marrons contre lesquels il avait promis de mener les Anglais dès qu'on serait venu à bout de la menace que constituaient les anciens hommes en guenilles d'Ysassi, et son corps a été dépecé. La plupart de ses deux-cents partisans sont vite retournés dans la communauté marronne (...)


La prise de position de Juan Lobolo m'avait fasciné, de même que le comportement du grand Cudjoe que les historiens anglais ont plus tard décrit avec enthousiasme comme docile et soumis lorsque, en 1738-1739, il a finalement accepté de faire la paix avec son adversaire, le colonel John Guthrie. (...)[le traité] plaçait les Marrons sous le contrôle colonial du gouvernement britannique. Il leur accordait cependant d'être des hommes libres avec leur territoire et leurs lois, leur propre code judiciaire et pénal (sauf pour les crimes punis de mort ou les crimes commis contre les non-Marrons), et leurs chefs locaux librement élus. Il s'agissait bien d'un traité de paix sans aucune mention de reddition. Pourtant Cudjoe était sorti de son enclave et s'était prosterné devant l'homme qui était venu lui demander la paix, il avait rampé à ses pieds et l'avait imploré de lui donner son pardon personnel. (...)


Et cinquante ans plus tard, lorsque les Britanniques avaient violé le traité de Cudjoe de manière flagrante en faisant fouetter publiquement deux Marrons qui avaient volé deux porcs, l'affront n'avait été ressenti que par les Marrons des environs de Flagstaff et de Marroon Town qui s'appelait alors Trelawny Town. A Nyamkopong, les gens avaient fermé les yeux et s'étaient tenus tranquilles. La deuxième guerre des Marrons avait débuté à cause du refus des Britanniques de laisser les Marrons exprimer leur indignation, d'abord pacifiquement, puis de manière de plus en plus violente. Et cette guerre avait divisé le pays cockpit en deux. (..) Ceux (...) qui n'avaient pas voulu voir la perfidie britannique furent autorisés à vivre comme avant, encouragés à se comporter en mercenaires et en chasseurs de primes auxquels on faisait régulièrement appel en cas de crise - c'est à dire chaque fois qu'un esclave réussissait à atteindre la brousse (...) Ils poursuivirent même et abattirent Jack Trois-Doigts, un esclave fugitif du début du XIXe siècle qui s'était transformé en maraudeur dans les collines derrière Kingston. "
"on les avait sollicités pour mater une insurrection d'esclaves qui prenait de l'ampleur en 1832, et plus tard pour écraser la rébellion de Morant Bay"

ChatonMarmot
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le 28 oct. 2020

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