Le livre de Kawabata Yasunari adapté par Mikio Naruse et contrairement au film, se concentre sur le seul personnage de Shingo et ses déambulations mentales face au bilan de sa vie, à ses désirs et à ses regrets comme ultime sursaut lorsque celui-ci est confronté à la fin de sa vie. Regrets qui restent dans l'écriture japonaise assez vaporeux, comme une réminiscence de possibilités avortées sans que soit réellement remis en cause les choix définitifs.
Vient se greffer une nouvelle perception accrue des signes extérieurs dont Shingo cherchera la signification dans sa relation aux autres. Ses interrogations sur la nature ou les objets sembleraient parfois insignifiantes si elles ne révélaient l'importance par sa simplicité d'un environnement vivant souvent oublié par les tracas du quotidien, appuyant ainsi toute la fragilité de l'homme et son impuissance. L'auteur décline alors toutes sortes de rêves, de bruits ou d'interventions animales et de liens imperceptibles à sa meilleure compréhension des événements et de son cheminement.


Shingo, 62 ans, toujours en activité professionnelle, reste pour l'époque, un vieillard dont les multiples signes de déliquescence se déclinent au fil de la lecture et viennent se heurter à une situation familiale chaotique. Un fils volage, une fille en difficultés financières et en instance de divorce, son propre mariage arrangé venant troubler ses souvenirs et prennent directement le contre-pied de l'image de famille unie et solidaire que l'on peut rencontrer dans le cinéma de Yasujiro Ozu.


K.Yasunari marque le fossé par un Japon marqué par l'occidentalisation et confronte Shingo au choix difficile entre modernité et traditions, auquel il sera soumis face à la passion délicate qu'il éprouve pour sa belle-fille Kikuko. Le patriarche fatigué rejette son fils et sa fille, se lamente de son épouse et n'éprouve que satisfaction dans les échanges sporadiques avec Kikuko, et se retrouve dans une sorte d'urgence à conserver leur relation, tout en étant incapable de prendre les décisions qui s'imposent, notamment à libérer les époux de la maison familiale pour leur indépendance -d'ailleurs rejetée par Kikuko qui trouve chez son beau-père la seule raison à supporter son mari !-
Leur relation intime ne se situe que dans les échanges sans conséquence, parlant de la nature, des fleurs, de la chaleur de l'eau pour le thé ou de la préparation du riz, évitant de s'avouer leur attirance réciproque, trouvant là matière à lutter contre l'adversité et à apprécier la monotonie de leur vie. L'évitement est flagrant, et les personnages se parlent en regardant ailleurs, guetteront les moments opportuns pour voir sans être vu.
Une relation platonique partagée bien moins évidente que dans le film de M.Naruse qui optera également pour mettre en avant Kikuko et donner au personnage une profondeur contrairement au livre où les personnages restent plutôt en filigrane. D'où une certaine difficulté à l'empathie et à cerner les caractères.


De la même manière que Shingo s'oublie dans ses pensées, le style elliptique joue de ce flottement en passant d'une fin de chapître à une nouvelle situation dont on ne perçoit pas le passage du temps, ni le lien évident, s'appuyant ensuite sur des détails oubliés, nous permettant de recoller les événements.
Alors, si la lecture est facile, certaines envolées poétiques agréables, le style narratif est parfois pesant. L'auteur offre une vision pessimiste sur la destinée de Kikuko, évitant ainsi le final, si ce n'est optimiste, tout au moins ouvert, de M.Naruse. Reste que le rapport aux traditions est fortement marqué et pourra gêner aux entournures, et ce sera surtout la nostalgie profonde qui émane de l'écriture, qui en fait tout son charme... A nos âges avançant, on pourra y déceler comme un écho...

limma
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le 27 sept. 2019

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