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Que la littérature ait à voir avec les fantasmes, cela me paraît évident. Que cela soit encore plus vrai pour la littérature fin-de-siècle et Belle Époque – mettons entre la fessée de 1870 et la boucherie de 1914 –, c’est ce qui me la fait aimer. D’ailleurs il est peut-être là, le point commun entre Jarry, Mirbeau, Bloy, Villiers, Schwob ou même Zola et Maupassant : s’emparer du fantasme et en faire non seulement un thème littéraire, mais un outil. (Si j’aime cette période, et certains de ses auteurs, ce n’est pas forcément parce que ces fantasmes sont les miens.)
Bref. L’un des fantasmes de Hugues (ou Hughes, de toute façon c’est un pseudonyme) Rebell, c’est les femmes fouettées. On s’en doutait dès le deuxième mot du titre, le récit ne cessera de le confirmer. Le roman ne compte que deux scènes de flagellation, mais elles en constituent des points d’orgue.
Mais de ce point de vue, il y a dans le Fouet à Londres une forme de sexualisation moins explicite, qui imprègne pourtant tout le récit (le fétichisme du fouet, c’est peut-être un paradoxe, y échappe relativement). C’est-à-dire que chez Rebell, il n’y a qu’un type d’hommes : ceux qui exercent leur domination. Les autres ne comptent pas ; il ne sont pas annulés, ils sont nuls. Le principal personnage est un ancien officier colonial, je n’y vois pas de hasard.
Il y a, en revanche, deux types de femmes : les salopes avérées et les salopes qui s’ignorent. C’est-à-dire qu’un viol s’appelle un « égarement de mauvais aloi » (p. 44), ou des « indélicatesses » (p. 90) quand il est suivi de chantage.


Première précision : je sais bien qu’une œuvre littéraire n’est pas un manuel de morale, qu’elle n’a pas à l’être et que c’est très bien ainsi. Pour le coup, le Fouet à Londres ne se pose pas en manuel de morale. Mais ce récit a une morale : celle du plus fort.
Autrement dit, le colonel Boldman « comprit qu’il était le maître et, d’une vigoureuse étreinte, la saisissant à bras-le-corps, la renversa sur la mousse du sentier, imprimant sur ses lèvres un baiser brutal qui acheva de suffoquer Jenny, sur le point de perdre connaissance, ce dont il profita pour explorer d’une main hardie les contours provocants de sa conquête » (p. 41). On appréciera la hardiesse du maître qui cède à la provocation de sa conquête
Deuxième précision : je ne suis pas sûr qu’on puisse mettre cette vision du monde et des rapports entre hommes et femmes sur le compte d’une sorte de mentalité d’époque. Il me semble qu’en termes de rapports de domination, 1905 n’a pas tant de leçons que ça à recevoir de 2020.


J’en reviens (j’en arrive ?) à la littérature. Car l’idée selon laquelle « ce qu’elles [les femmes] veulent, c’est un amant qui les dompte, qui soit leur maître » (le colonel, p. 172) fait du Fouet à Londres un récit bien faible d’un point de vue littéraire. Finalement, une fois admis que Jenny Helling passe du statut de salope qui s’ignore à celui de salope avérée, qu’y a-t-il à raconter en cent cinquante pages ?
Un grand écrivain aurait peut-être réussi à tenir sur ces cent cinquante pages, ou pris le parti de s’en tenir à cinquante. De ce point de vue, Hugues Rebell n’est pas un grand écrivain, ni dans la construction du récit, ni dans le style. Il y a beaucoup de délayage dans le Fouet à Londres et quelques clichés – cf. la « main hardie » et « les contours provocants » évoqués ci-dessus, cf. encore « le luxe des oreillers de dentelles projetant des ombres légères sur l’ivoire et la nacre de leurs chairs, les seins palpitant au rythme régulier de la respiration, se soulevaient doucement » (p. 33).
On aura remarqué que ni la syntaxe ni la ponctuation ne sont les points forts de l’auteur, la palme revenant à l’inoubliable « Horreur la coquine n’avait pas de pantalon » (p. 71).


Enfin, là où un Octave Mirbeau aurait exploré à fond la noirceur de la sexualité, Hugues Rebell ne fait finalement qu’effleurer le sujet. Là où un Pierre Louÿs aurait saturé le texte de son humour particulier – et ses textes sont bien moins moraux ! –, il s’en tient au rire de triomphe du dominant face à sa victime, comme un type qui ricane en regardant s’agiter l’insecte dont il vient de couper les ailes : le colonel, au milieu d’une douzaine de coups de fouet administrés à la jeune fille qu’il corrige, dit à la mère de celle-ci, en désignant les fesses meurtries : « On croirait voir un sorbet fraise et citron. À la troisième douzaine, le citron sera noyé sous les fraises » (p. 73).

Alcofribas
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le 22 janv. 2021

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