Critique du spectacle de la Comédie-Française, mis en scène par Jean Mercure

Mise en scène académique, au service du texte et de la pensée de Montherlant, soucieux de rendre justice à ce personnage historique aujourd’hui oublié, le cardinal Francisco Ximénez de Cisneros ; ce moine franciscain d’origine modeste est devenu, après la démission de Jeanne Ière dite « la Folle », le régent impitoyable et despotique du royaume de Castille, au début du XVIe siècle, sapant sans vergogne l’autorité vaniteuse des Grands d’Espagne, hostiles à l’idée qu’un vieux religieux sans prestige soit supérieur à leurs titres de noblesse.


Le texte de l’auteur et la mise en scène de Jean Mercure confèrent à cette personnalité imminente, mais passé aux oubliettes de l’Histoire officielle pour ne retenir qu’Isabelle la Catholique (dont il était un proche conseiller) et Charles Quint (jeune roi monté sur le trône grâce à lui), une majesté, une solennité et surtout pour le dernier acte, une fragilité qui finit par le rendre plus humain que les autres personnages ; le jeu d’Henri Rollin, toute en sobriété (à l’image de l’ensemble de la mise en scène), octroie finalement une tendresse inattendue pour un personnage haï de tous et décrit comme un despote par ses détracteurs dès le début de la pièce.


Un immense respect se dégage à l’intention du cardinal Cisneros, figure vieillissante trahie par son entourage et par ses proches (par son neveu, Don Luis Cardona), avant de mourir pathétiquement, honnis de tous, éternellement condamné à être méprisé et oublié par chacun. Drame en trois actes qui l’éloigne des schémas traditionnels des pièces historiques du théâtre classique (construit généralement en cinq actes) ; fable dépourvue d’action, de rapports de force, ressemblant davantage à un dialogue (entre le cardinal et son neveu, puis entre le protagoniste et Jeanne la Folle) sur le pouvoir, les abus de pouvoir notamment, et la cohabitation entre le politique et la foi chrétienne (la vie humble d’un monastique est-elle compatible avec un engagement de tous les instants dans les affaires étatiques ?).


Théâtre érudit aux accents philosophiques, questionnant en somme le sens de la vie de chacun, qui ne permet pas une mise en scène grandiloquente, dynamique → Jean Mercure et son équipe prennent le parti de faire entendre le propos réfléchi et dense de Montherlant, de mettre en avant les multiples réflexions du dramaturge, membre de l’Académie française, au détriment de ce qui fait le fondement de l’art dramatique… l’action. Un choix compris par certains, admiratif de la majesté accordé à cet être marginal (tout oppose le cardinal aux autres sommités de la cour : origines sociales, âges, philosophies de vie), mais rejeté par d’autres aussi, comme en témoignent les réactions houleuses des étudiants normaliens venus perturber une des représentations de la pièce, en insultant Montherlant, en se moquant des comédiens, en jetant quelques boules puantes sur le plateau et en rebaptisant le drame « Le Gardénal d’Espagne », remède contre l’insomnie selon eux.


Spectacle qui n’a malheureusement pas résisté aux assauts du temps, trop bavarde, trop explicative, mais résolument subversive pour un public royaliste puisque les figures aristocratiques et royales font pâles figures face au stoïcisme et au sacrifice du vieux cardinal malade ; seule Jeanne la Folle, mère du futur monarque Charles Quint, servie avec justesse par Louise Conte, ose tenir tête avec puissance à Cisneros et tient une place à part dans ce drame (personnage le plus théâtral, le plus expansif s’entend, et en même temps le moins engagé dans l’action puisqu’il se tient volontairement à l’écart de l’exercice du pouvoir). Malgré sa bure franciscaine simple qui fait tâche avec la décoration pompeuse de ces palais d’Espagne, représentés avec fidélité par la scénographie, et avec les costumes somptueux des nobles de la cour, le cardinal inquisiteur montre davantage de grandeur, et finalement d’humanité, que ses opposants.

MrSauvage
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le 13 févr. 2021

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