Critique de Shaynning

Incontournable d'une librairie, Mai 2022

Cette réécriture de conte fait parti de la collection "Agrile +" de la maison Amaterra et cette fois, pas vraiment de prince en vue, nous sommes plutôt centrés sur Blanche et sa belle-mère particulièrement revancharde.

Sur un ton moqueur et légèrement enfantin, le narrateur raconte, en y allant de ses commentaires, cette histoire qui se déroule quelque part au moment où la Reine apprend que le cœur qu'elle tient n'a rien de très homo sapien, et décide donc de le cuisiner, de l'assaisonner au poison, puis de faire en sorte que Blanche-Neige s'étouffe avec. Elle utilise, pour se faire, un habile subterfuge en incarnant une cuisinière routière, avec une charrette pour trimballer son plat. Hélas, quand elle gagne la maison des sept nains, ces petits hommes injustement exploités par les collecteurs de pierre précieuses et qui n'ont pas le temps de souffler en raison des taches ménagères qui leur incombe, "Jennifer" se heurte à une BN qui lui explique qu'elle et ses sept associés ne mange pas d'abats. Mais quand Jennifer renouvelle ses expéditions avec de nouvelles recettes ajustées aux nombreuses contraintes formulées par Blanche-Neige, il y a toujours un souci. Pas de gibier, pas de viandes, pas de poisson, pas d'êtres vivants, pas de produits laitiers injustement retiré des pauvres petits animaux, etc. Capucine ( son véritable nom) va même être sollicitée dans un projet d'entreprenariat qui vise à améliorer le sort des sept petits hommes. Est-ce que la Reine finira par se rendre compte qu'elle prend tellement de plaisir à mitonner ses plats? Est-ce qu'elle finira par avoir la peau de son agaçante et si belle belle-fille? Finira-t-elle par réaliser à quel point la beauté ne fait pas la personne? Oups! J'en ai peut-être trop dit...

C'est une lecture réellement amusante, où clairement Blanche-Neige n'est pas stupide, au point où on se dit qu'elle doit avoir percer à jour sa belle-mère pour être à ce point énervante. Mathématicienne et entrepreneuse coriace, elle s'est découvert des compétences insoupçonnés quand elle fut chassée du château. En outre, Blanche-Neige est peut-être maintes fois décrite comme étant "belle", elle l'est tout spécialement quand elle est le moins à son avantage, décoiffée, en salopette, sans la moindre parure, mais rayonnante par la simple perceptive de son grand projet. Une beauté de l'âme, dirait-on. J'adore l'idée. Fée du logis incapable, ce sont les sept hommes qui sont de corvées, même s'ils sont épuisés de leurs journées à la mine. Ils ont d'ailleurs des noms médiévaux tels que Guéthenoc, Herlebad ou Wulgrin. "Kevin", quand à lui, a franchement pas rapport. Ils ne sont pas spécialement présents ou impliqués, mais ils adhèrent aux idées de Blanche et n'ont pas cherché à transformer la princesse en femme de ménage.

Même la belle-mère fini par nous sembler attachante. C'est un personnage qui a vécu toute sa vie avec la certitude qu'une femme n'a de valeur que son apparence, comme plusieurs générations de femmes dans la vie réelle. Progressivement, elle se découvre des habilités et se rend compte qu'elle peu être utile. Le récit tourne donc autours de cet axe: que serait la relation des deux femmes or de leur royal contexte? Et si la beauté n'était plus au centre de leurs préoccupations? La Bd adulte "7 Nains - 7 mineurs réinventent un conte majeur" avait soutenu sensiblement la même idée, mais dans la BD, les deux femmes réalisaient surtout que la jeunesse comme la vieillesse avait ses inconvénients pour les femmes. Bref, "Capucine" est un antagoniste dont nous avons le point de vue et c'est un excellent point pour ce roman. On revisite ainsi le rôle de cet antagoniste, qui n,est pas méchante juste pour être méchante, mais qui fait avec son éducation déficitaire et les attentes sociales qu'on exige d'elle.

En parallèle, nous avons foison de thèmes à saveur environnementale, entrepreneuriale et sociale. Exploitation minière, végan, agroalimentaire, nutrition, économie, coopérative, on passe rapidement plusieurs sujets intéressants, plus ou moins vulgarisés. J'imagine que si certains termes ne sont pas expliqués, c'est pour illustrer l'écart intellectuel des deux femmes, qui clairement , n'ont pas le même niveau de langage et d'éducation. Ça aussi c,est un point intéressant: en peu de temps, Blanche-Neige s,est mise à la lecture, ce qui a considérablement changé sa vision du monde. La lecture est un coffre à outil et une porte d'entrée sur le Savoir, on ne le dira jamais assez.

Le narrateur est vraiment un cas. Il passe des commentaires, se moque de la Reine, s'étonne, s’exclame, il fait parti lui-même du récit. Ça ajoute à l'humour.

Je ne peux pas dire que je sois emballé par la couverture, néanmoins, mais c,est là un goût personnel. Ce genre de graphisme aux proportions caricaturales et outrancièrement géométriques ne me plait pas vraiment. Je dois dire que ça m'a fait plaisir cependant que Blanche-Neige soit si courbée au niveau des cuisses et costaude au niveau des bras. Ça fait changement des princesses Disney pratiquement anorexiques.

Comme quoi pas besoin de long romans pour mettre à terre des dogmes et des stéréotypes dans le monde des contes. Et pas besoin de faire dans le sérieux non plus! Je vous invite donc à regarder de plus ce petit roman qui traite de féminisme, d'entreprenariat, de communication et même de pardon. Il me semble que de voir une antagoniste devenir un allié est en soit une victoire et une avancée dans la réécriture de contes.

À voir!

Pour un lectorat du troisième cycle primaire, 10-12 ans. En soit, ce n,est pas le niveau d'écriture qui est en cause, mais la technicité des sujets en présence.