Le livre de Valérie Clò, roman d’anticipation, se révèle être un apologue de la dictature du jeunisme qui régit certaines catégories sociales et provoque un mal-être général (toutes classes d’âge confondues) qui gangrène la société dans son ensemble.

Ce roman est rédigé dans une langue courante, simple et sans prétention, actuelle – la modernité du langage est en phase avec le cadre temporel futuriste –, ce qui rend le livre accessible, facile à lire.

Les caractères des personnages ne paraissent ni trop complexes, ni insuffisamment achevés, justifiant qu'on leur porte assez rapidement un attachement réel. L'adolescence de Thalia, bien que difficile et hésitante, lui confère une belle force de caractère, une lucidité déroutante et un certain charisme. Le lecteur ne peut rester indifférent à cela.
Preuve de sa perplexité, Thalia oscille entre pensées inculquées par la société et réflexions rebelles. Par exemple, elle trouve que « commencer à faire vieillir [s]a peau » dès 18 ans est une nécessité (page 18) mais réfute la valorisation de la vieillesse, « tellement ancrée dans les mentalités que plus personne ne la remarque ni ne s'en préoccupe » (page 87).

Loïs affiche une obstination hors du commun, et on pense que le doute ne peut pas l'atteindre.

Jusqu'à la page 136 lorsqu'il déclare à Thalia qu'il deviendra « un petit médecin, mal payé […] montré du doigt parce qu'il dérange » et qu'il avoue qu'il n'a « pas la certitude qu'on [l'] entende un jour ». Cette révélation le rend plus humain, plus attachant.

Un autre personnage chez qui on remarque une complexité certaine est le père de Thalia, attaché à la société, bien plus qu'à sa fille avec qui il continue cependant d'entretenir des liens forts malgré leur opposition. Il « se rend bien compte des trop nombreux abus qui sont pratiqués » (page 157).

L'idée de départ du livre, originale et intelligente, m'avait accroché et j'ai finalement été légèrement déçu par le peu d'approfondissement de l'intrigue. Le livre est, à mon goût, trop centré sur ce que l'écrivaine voulait montrer, en occultant le reste ce qui ôte de la consistance au propos. L'auteure a finalement focalisé son observation des deux mondes, celui de Laura et celui de Thalia, sur un échantillon réduit qui ne concerne que des professions et des catégories sociales spécifiques. On passe à côté de nombreuses professions et le fait que le personnage de Thalia n'ait pas de relations avec d'autres adolescents que Loïs n'offre pas une vue très réaliste, très générale de la société. L’existence du reste de la société se résume à de brèves observations dans les passages narratifs de Thalia.

J'ai également trouvé la fin un peu trop naïve, candide, « Tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes » (Candide, Voltaire). Le père se réconcilie finalement avec sa fille et Thalia et Loïs réussissent à vivre loin des aprioris de leur société sans trop de mal. Je pense q'une fin plus cruelle ou un bouleversement plus important aurait servi la visée du propos jusqu'à la conclusion du livre, plutôt que de le voir s’essouffler. L'attachement que l'on porte à l’héroïne permet de percevoir le monde de Thalia à travers son regard, celui d'une personne qui y est née, donc qui le trouve normal et logique, mais qui finit par le remettre totalement en question. À travers la mise en abyme du livre éponyme de Laura Franck La Tyrannie des apparences, et du regard que porte Thalia sur ce livre, Valérie Clò incite le lecteur à réfléchir : l’héroïne n'est en fait que l'avatar de Laura Franck (et du lecteur) dans un monde bien moins opposé qu’il n’y paraît, et vice-versa ; se révèle ici l’aspect cyclique et infini des modes.

Quand nous trouvons anormal que la société de Thalia valorise la vieillesse, l'adolescente trouve étrange que notre société favorise la jeunesse. Thalia et Loïs réussissent pourtant à remettre cette société en cause. Valérie Clò nous pose ouvertement une question : pourquoi n'y arrivons-nous pas ?

Grathzzly
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le 30 déc. 2015

Critique lue 714 fois

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