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La postface de son édition française (Verdier) est suffisamment éloquente à ce sujet : cette nouvelle confidentielle porte clairement l’empreinte du plus connu de ses deux co-auteurs. La Sœur d’Eloísa intéressera donc principalement les lecteurs déjà familiers de l’auteur de la Bibliothèque de Babel, qui ne s’étonneront pas de voir que ce dernier fait de son narrateur un architecte, redécouvriront çà et là un chèvrefeuille (p. 20) ou un labyrinthe (p. 33), et remarqueront que le regard que semble porter le récit sur les entrepreneurs plus ou moins parvenus est aussi celui que portait le milieu social de Borges sur cette classe sociale qui cherchait à la supplanter sans maîtriser les codes sociaux bien établis de l’aristocratie – les notions de parvenu et d’aristocratie étant évidemment à prendre dans le contexte de l’Argentine du milieu du siècle dernier.
Comme rien n’est jamais gratuit chez Borges, on trouvera que la narration à la première personne est indispensable : velléitaire et imbu de sa personne, malgré l’auto-dérision peut-être involontaire qui naît de son son recul sur lui-même, l’anti-héros qui donne sa voix au récit est indispensable uniquement parce que sa voix l’est aussi. Du coup, un cliché un peu infatué tel que « la malheureuse histoire d’amour qui allait marquer une bonne partie de ma jeunesse » (p. 13) prend ici une résonance particulière. De fait, on lit la Sœur d’Eloísa comme une nouvelle psychologique, loin de l’érudition vaguement ésotérique à laquelle on associe souvent Borges. Quant aux références au reste de l’œuvre que j’ai signalées plus haut, elles agissent comme des marques d’humour, au même titre que de nommer un révérend « Mannteufel » (p. 20) ou de parler du « bungalow type 14 que nous venions de construire pour le pharmacien Roverano et dont il avait fallu assurer la réfection après les dernières pluies, ce qui pour nous avait été une bonne opération » (p. 19). Cet humour-là, bien sûr, suscite moins un éclat de rire qu’un pouffement feutré – on reste chez Borges.
Tout ça, le lecteur attentif le saura ; Borges sait que le lecteur attentif le saura ; et le lecteur attentif sait que Borges savait qu’il le saurait ; etc.
En moins de quarante pages.

Alcofribas
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le 25 nov. 2016

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