La France goy, Christophe Donner, Grasset


Lecteur, il faut savoir passer outre un titre affligeant ! L'auteur (et son éditeur) ne s'est sans doute pas avisé que le miroir, fût-il inversé, de l'ignoble «  La France juive » d'Edouard Drumont, allait emprunter les traits les plus vils du journal antisémite à succès de la Belle Epoque : communautarisme, essentialisme, proscription, séparatisme. Quel piètre titre pour un si bon livre....


Car cette « France-là », on la dévore avec passion, gourmandise, révolte, dégoût, surprise, tant on apprend de choses révoltantes. Belle époque ? Celle d'un antisémitisme virulent et épandu comme un chancre, du scandale de Panama, des députés «  chéquards », des attentats anarchistes, de la bande à Bonnot qu'une partie de l'opinion prend pour de nouveaux Robin des Bois, des duels à répétition où on lave encore son honneur au premier sang, de l'affaire Dreyfus, de l'assassinat d'un patron de presse par l'épouse d'un ministre (et celle-ci sera acquittée). N'en jetez plus la coupe et pleine ! Notre début de siècle, où des chaînes de télévision s'émeuvent à jet continu de quelques ados qui, déguisés en Dalton, font du « une roue » sur leurs engins motorisés dans quelques rues piétonnes, et où on se scandalise d'un doigt d'honneur, d'une femme en foulard, ou d'ados turbulents paraît bien placide .


Il est vrai que les personnages que fait défiler Christophe Donner sont d'une certaine trempe ! Et l'art de l'anecdote ou du portait sont tels qu'on s'y laisse prendre...


Mais revenons au ressort du récit. Car Donner le raconte : il a découvert il y a quelques années des lettres de ses aïeux, un arrière-grand-père, et une arrière-grand-mère. Lui, c'est Henri, qui quitte son Nord natal pour venir vivre à Paris et y exercer ses talents. Ses talents ? Il est guérisseur, masseur, se forge une clientèle, deviendra professeur d'université et l'ami de Léon Daudet, le fils d'Alphonse, l'un des fondateurs de l'Action française, républicain nationaliste converti au monarchisme anti-deyfusard. Elle, c'est Marcelle, institutrice passionnée et au grand cœur, féministe, proche des mouvements anarchistes, qui lit L'Humanité.


Cette correspondance retrouvée est le substrat du livre. Et ces aïeux des deux rives, qui finiront par s'aimer en dépit de tout, conduisent l'auteur à explorer avec talent, les idéologies qui les inspirent. L'extrême droite nationaliste, monarchiste, atrocement antisémite pour l'un, les anars et radicaux de gauche, généreux mais turbulents pour l'autre.


Les galeries des portraits des deux bords sont étourdissantes : Drumont, le patron de la « France juive » y tient une large place, Maurras aussi, Alphonse et Léon Daudet et tant d'autres ; mais Miguel Almeyreyda (anagramme de «  Ya d'la merde »), en réalité Jean-Baptiste Vigo, le père du cinéaste Jean Vigo, également, anarchiste charismatique, anti-militariste militant, emprisonné à plusieurs reprises, il mourra en cellule.


Et les politiques de l'époque : Joseph Caillaux, Louis Malvy, Poincarré, Clémenceau, Jaurès.


Ce gros livre, en de très courts chapitres de trois à cinq pages, se lit comme on regarde une série TV. Cela va à toute allure, on ne cesse d'en apprendre sur notre pays, sur cette époque, sur ses dérives et ses monomanies, car Donner, bien sûr, s'en donne à cœur joie des rapprochements possibles avec les temps présents.


Le ton détaché pour raconter l'abjection qui va, alors que les hommes qui les profèrent, qui nous paraissent odieux, ne sont pas sans valeur, est à la fois chic et agaçant. Ca crisse quelquefois sous les dents. C'est acide.


Comme les lettres de son aïeul, exactement comme elles, dont Donner nous dit, donnant la clef : « C'était dans le rythme, la sonorité des mots, dans la brièveté des effets, un petit ton supérieur, pas vraiment un style, ni «  une petite musique », plutôt un petit regard, un sourire en coin ».


C'est tout à fait cela, sauf le tire accablant qui étrique bêtement l'intérêt de ce récit passionnant.

JoëlBoyer
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le 28 nov. 2021

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Joël Boyer

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