Il y a l'Histoire et le Territoire. Le Territoire c'est la Défense, son parvis, son architecture, ses parcours obligés, ses tours symboles d'un monde ultra-libéral. L'Histoire, c'est celle des individus qui occupent le territoire. Plus précisément celle de Marius et Priscilla, personnages-objets de la mécanique infernale qui tourne dans les tours. Tous deux Directeurs de projets en compétition pour le poste de Directeur général dans un groupe, la guerre semble déclarée. D’autant plus que le Président dont la panoplie de Machiavel est une seconde peau, alimente la chaudière infernale de la manipulation avec une jouissance non dissimulée. Mais l’empire du privé au sein du monde du travail étant une chausse-trappe permanente, il devient difficile pour les protagonistes de savoir qui manipule qui.


Avec un cynisme réjouissant, un ton extrêmement drôle et écrit à l'arbalète de compétition, le roman de Marin De Viry ne cache rien du plaisir avec lequel il a dû être écrit. On est rapidement séduit par la construction, une narration partagée entre l’auteur et les personnages. Nous voilà prêts à compter les coups-bas et peut-être les morts. Les éléments de langage de l’univers de la Défense fusent et rappellent leur invasion ridicule dans le monde du travail. C’est parfois hilarant, parfois effrayant de lucidité. Houellebecq, vers qui les clins d’œil sont nombreux, n’est effectivement pas très loin. Les grands sujets sociétaux, du féminisme à la préservation de la planète, sont joyeusement piétinés de par l’hypocrisie et l’égocentrisme des protagonistes. . On pense parfois à Bertrand Blier à l’époque où il parlait de la solitude dans son « Buffet froid ». La fable moderne que nous propose De Viry dévoile ainsi une réalité sombre sur un ton enjoué. On est adroitement capté en totale distanciation avec le monde de l’agilité, l’employabilité, la compétition pour en constater l’aspect vain. Preuve de cette totale vacuité, le roman ne nous apprendra pas ce que font tous ces gens dans leurs bureaux, derrière leurs ordinateurs et leurs téléphones. Rien peut-être. Comme dans un cauchemar libéral où le Capital ne serait qu’une façade sans réalité dans l’arrière salle. Il est vrai que vus de très haut, on ne fait plus de différence entre des êtres humains et des fourmis dans leur façon de s’agiter en tous sens. Le Territoire est virtuel.


Marin De Viry a immanquablement ce talent d’interpeller le lecteur sur de grands sujets en étant drôle et incisif. Ce qui est souvent plus efficace que de plomber un récit avec des mélodrames sociaux. Ceci dit en prenant le risque aujourd’hui d’être classé entre « réac » et « politiquement incorrect ». Mais c’est sans doute le dernier des soucis de l’auteur dont le roman semble être un drone survolant l’absurde.

SIMMARANO_JF
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le 20 sept. 2021

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