Nigel Barley a été conservateur au British Museum. Anthropologue, il me fait l'effet d'un drôle d'oiseau qui a un mérite : écrire sur une partie du monde assez peu couverte, l'Océanie, en particulier la Malaisie et l'Indonésie.


Dans ce livre, il part sur les traces du passage de Stamford Raffles, administrateur colonial britannique de la première moitié du XIXe siècle connu pour avoir fondé Singapour (vous trouverez de nombreuses statues de lui là-bas).


L'ouvrage entremêle trois fils :
- les voyages de Barley sur place. Il raconte son voyage de manière trop truculente pour être honnête, mais il en ressort tout de même des traits intéressants de la société indonésienne, qui nous est si fermée. Evidemment, son voyage n'est pas ethnographique, mais historique. Ce n'est donc pas J'irai dormir chez vous en Indonésie, mais plutôt une galerie de personnages truculents, qui disent souvent des choses fausses, avec des incidents de voyage, enfin juste ce qu'il faut pour que ça ne soit pas fastidieux. Le voyage est l'occasion de voir que le nom de Raffles est utilisé désormais à toutes les sauces commerciales en Asie du sud, et que ses habitants brodent autour des légendes fort improbables.
- Une biographie romancée de Stamford Raffles, personnage sur lequel on sait au fond peu de choses, aussi impénétrable qu'une gravure. Avec une inconséquence et une roublardise qui fera hurler en coeur tous les historiens, Barley reconstitue une version romancée de la vie de Raffles. Il voit en lui un homme des Lumières, éclairé et progressiste, un maniaque soucieux d'apporter la culture aux Indonésiens, une figure du bon administrateur par opposition à un pouvoir colonial hollandais oppresseur et inefficace.
- Une biographie de Soekarno, premier leader de l'indépendance indonésienne. Barley veut démontrer, de manière étonnante et indéfendable, qu'il y a énormément de points de comparaison entre la vie de Raffles et celle de Bung Karno (comme l'appellent affectueusement les Indonésiens).


Il y a une carte en début d'ouvrage, ce qui est fort utile. Le texte est entrecoupé d'extraits de correspondances autour du personnage de Raffles (et du journal de sa deuxième femme).


D'un point de vue historique, c'est un ouvrage profondément affligeant, une véritable provocation qui parodie la méthode positiviste. D'un point de vue littéraire, c'est comparable à des récits de voyage truculents, mais avec de l'érudition.


Bref, c'est un ouvrage assez inclassable, qui a cependant l'immense mérite d'aller là où personne ne va, de se poser des questions que personne ne se pose. J'ai donc bien aimé, même si je pense que ça ne doit pas être le meilleur livre de l'auteur. Il doit y avoir une saveur supplémentaire en anglais (plusieurs jeux de mots sur la prononciation de Raffles, à ce que j'ai compris).


(pour l'anecdote, c'est un livre qu'une amie m'a offert car elle l'avait trouvé dans une de ces boîtes "le livre voyageur" à Agen).


Synopsis.
1 - Empreintes. Départ à Bogor, où est enterrée la première femme de Raffles (par la suite abrégé en R.), discussion avec un vendeur de nouilles, avec un ministre indonésien en déplacement à Londres, avec un touriste guinéen à Westminster. Trois confusions autour du personnage.
2 - Noms. A Penang, où R. fut envoyé par la compagnie des Indes anglaises en 1805, après une enfance passée dans les livres. Visite décevante à Love Lane et au fort Cornwallis.
3 - "Tous bons amis et quelle chic compagnie !". Sur le style "agent immobilier" des rapports de R. à la compagnie pour vanter les potentialités de l'Orient. A Malacca. Enquête sur l'apparence physique de R. Rencontre avec des métis portugais-indonésiens, qui revendiquent une appartenance portugaise malgré leur type physique. R. envoyé à Malacca collecter des informations. Rencontre avec un pêcheur malais, cordial, qui propose à Barley de l'accompagner en bateau à Flores.
4 - Les envahisseurs de l'épice. En 1811, R. et Lord Minto profitent des guerres napoléoniennes pour prendre Malacca aux Hollandais. Récit de cette conquête improvisée. Rencontre avec John Leyden, un lettré qui marque R. mais meurt peu après. Aucune trace à l'endroit du débarquement, aujourd'hui occupé par un parc aquatique. Légende de Si Pitung, sorte de Robin des bois indonésien contre les Hollandais.
5 - Scènes de l'ancienne Batavia. A Djakarta, l'ancienne Batavia. Différences entre l'administration hollandaise et anglaise, plus adaptée. Pohon Pinang, arbre dans une fête foraine. Réformes de R. à Batavia. Visite à la vraie tombe d'Olivia, la 1e femme de R.
6 - Le grand jardin. Voyage vers Bogor. Réparage magique de voiture. Visite au palais présidentiel de Bogor, notamment au bureau de Soekarno. Réformes agraires en faveur des petits propriétaires. Encore un monument à Olivia Raffles.
7 - Noblesse oblige. Jeu de R. sur les rivalités des sultans de Solo (Surakarta) et de Jogja (Jogjakarta). Visite à Solo, vieille cité royale en déclin. Visite en becak, sorte de pousse-pousse.Virée virile de R. à Jogja, maladresse envers le sultan. Visite à Klaten, prodigieux artisanat indonésien.Prise du pouvoir par la force, pour prendre une mine d'étain. Peintures pour touristes indonésiens représentant Rambo. Lukas, guide obsédé par le sexe. R. gronde le commandant du corps anglais, Gillespie, qui permet le pillage du palais. Parallèle avec Soekarno en 1948.
8 - Eléphants blancs et autres animaux. Visite à Borobudur, temple bouddhiste découvert par R. Tentative d'ouvrir le commerce avec le Japon. Nyi Blorong, la déesse de la mer du Sud, qui prend des jeunes gens et les noie. Mort de Nyi Slamet, un buffle blanc sacré.
9 - Espoir et gloire. R. interdit les jeux et l'opium. Histoire des prélévements de rie sous Soekarno. Changement de gouverneur général : lord Moira remplace lord Minto et se montre bien moins disposé envers R. ; il tend l'oreille aux accusations de Gillespie. Mort d'Olivia. A l'hopital, anecdote sur une femme folle. R. apprend que Java est rétrocédée aux Hollandais.
10 - Levez-vous, sir Stamford ! Visite à Bali, comme R., qui en avait ramené un Papou, Raden Rana. Puis rentre en Angleterre. Rencontre au passage Napoléon à Saint Hélène, il est déçu par le grand homme. Visite à la colletion Raffles au British Museum, de l'art océanien. Retour de R. à Bengkulu, sinistre poste au sud-ouest de Sumatra.
11 - Cette autre île d'Elbe. Situation tendue à Bengkulu, foyer de malaria, où un administrateur avait déjà été assassiné. Obligation d'assister à un match de foot. Franc-maçonnerie. Exil de Soekarno à Bengkulu en 1938. Guerre d'escarmouches de R. avec les Hollandais. Vaccinationc contre la variole. Barley, malade, fait le voeu de financer les études d'un neveu de son guide s'il est guéri. Il guérit.
12 - Empires de l'imagination. En bus, en route vers le pays minangkabau. Ethnie industrieuse, avec des traditions fortes, mais un peu obsédée par sa propre identité. Légende de Malin Kundang, mauvais fils changé en pierre pour avoir renié sa mère.
13 - Epaves flottantes. Voyage à Bali, trop touristique. Visite à la famille du jeune Nyoman, qui va reprendre ses études. Visite au temple. Palais de Tampaksiring de Soekarno. Négociation pour aller à Buleleng, mais le chauffeur n'en voit pas l'intérêt. Visite du palais de Karang Asam. Quiproquo avec un gardien persuadé d'avoir gardé des effets oubliés par R.
14 - Père fondateur. Voyages de R. dans l'archipel, à la recherche du bon site pour un comptoir. Choix du site de Singapour. Intérêt botanique. Récit de la cérémonie de fondation, le 6 février 1819.
15 - En avant ! En avion à Niaes, île à l'ouest de Bengkulu, que R. rattacha à la couronne britannique pour affranchir ses habitants de l'esclavage. Difficulté à descendre du bus. Surf et scène à la Gauguin. La culture d'origine est morte.
16 - "tu es poussière et tu retourneras en poussière". Après la fondation de Singapour, plantation de R. à Permatang Balam avec sa femme et ses 4 enfants. Expériences de plantation. Colporteur vendant un produit miracle contre l'impuissance. Visite à la maison de R. à Bengkulu.
17 - "Presque mon seul enfant". Nouvel an à Singapour. Société triethnique. Soutien décisif de lord Hastings. L'histoire singapourienne officielle commence cependant à l'Indépendance. Tension de R. avec l'envoyé, Farquar. Visite à la Raffles Institution, un établissement privé. Au départ une société savante.
18 - Renommée. A la suite de problèmes de santé familiaux, R. rentre au Royaume-Uni. Mais le bateau, le Fame, coule, et avec lui une grande partie des collections d'art indonésien de R., dont des parchemins inestimables. Sortie du métro à Hendon Central, visite à l'église que devait fréquenter R. Highwood House, dernière propriété de R. Pub Le soleil levant.

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le 31 oct. 2017

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