On les a vu en librairie, au rayon manga. Non, on les a pas feuilleté, faut assurer sa réputation, hein. Ils sont pourtant là, et pour peu qu'on lise des mangas, on ne peut plus les ignorer : les livres avec des garçons qui se font des bisous, des léchouilles et des papouilles, ces livres sont là. Avec la chance des rencontres, voilà que je me retrouve avec cet ouvrage entre les mains.
Prenons-le pour ce qu'il est : un premier pas à la fois audacieux et nécessaire. Mais objet ayant les qualités de ses défauts. Puisqu'un des problèmes inhérents à ce genre de sujet (ceux marginaux, mais pourtant bien présents dans la société) reste le fait que malheureusement ceux qui s'y intéressent réellement ne sont généralement qu'un cercle d'initié. Le résultat : si quelqu'un d'extérieur tente une approche universitaire (même en dehors de l'université), il risque d'une part d'être boudé par les initiés ; et de l'autre de ne pas noter certaines subtilités que seuls ces mêmes initiés sont capables de reconnaître.
En contrepartie, si le travail universitaire provient de ces initiés mêmes - n'ayons pas peur de le dire, de fans - le recul manque parfois. J'en sais quelque chose pour avoir moi-même tenté un mémoire sur les fanzines, que je voulais objectif et pragmatique et n'est au final que ce qu'il est.

Clairement, aussi sérieux soit-il, cet ouvrage provient évidemment d'initiés (question corrélée : finira-t-il d'ailleurs en d'autres mains que celles de ces mêmes initiés ?). Par conséquent il n'évite pas quelques écueils. Exemple : "Ce qui saute aux yeux, quand on ouvre n'importe quel magazine dédié au boys love, c'est la grande variété de styles graphiques représentés", souligne Namtrac quelque part. Malheureusement, pour avoir feuilleté le magazine Be Boys, et à en croire l'exemple publié en fin de volume (un cours récit complet yaoi de Benita servant à illustrer le propos), il n'y a pas là grand chose de révolutionnaire, graphiquement parlant. On trouve dans ces mêmes pages, de trop nombreuses fiches sur les auteurs majeurs et les principales oeuvres publiées dans l'hexagone, le tout avec un côté un peu trop catalogue, qui ne répond nullement à l'attente universitaire, et ressemblant plus aux pages chroniques en fin d'un magazine type Animeland. À plusieurs moments, à trop vouloir défendre à tout prix ce genre tabou, et parce que passionnés, les auteurs ne retiennent pas quelques élans maladroits.

Cependant, plusieurs articles importants apportent des réflexions assez convaincantes.
On apprendra, entre autres, que bon nombre de magazines shonen utilisent des personnages androgynes et ambigus afin d'attirer les lectrices (rappelez-vous Shun dans Saint Seya) ! Mais surtout, on saura qu'il ne faut pas confondre yaoi et manga gay : dans le premier genre on s'adresse à des femmes, avec des personnages androgynes ; dans le second, on s'adresse à des gays.
Le ton y est extrêmement différent, et cela a visiblement créé quelques controverses, puisque certains auteurs gays (dont Masaki Satô) ont accusé les auteures de yaoi d'avoir montré une image fausse et stéréotypée des relations homosexuelles, excluant du tableau tous les hommes gays ne ressemblant pas à ces éphèbes longilignes.
Pourtant, même si cette accusation a ses fondements (chose avec laquelle le rédacteur Hadrien de Bats ne semble, lui, pas d'accord, mais c'est là un autre débat) on apprendra que, dans le fond, les objectifs du yaoi sont bel et bien autres.

Comme il l'a été souligné un peu plus haut, le yaoi s'adresse aux dames. Particulièrement, son public principal semble être constitué de jeunes femmes et d'adolescentes. De là, en réponse à une question qu'on peut malgré tout se poser, "pourquoi les filles aiment-elles du yaoi ?", quelques éléments que je crois centraux ressortent : premièrement, au coeur de ces relations amoureuses (qui selon les récits peuvent aller de simple romance à porno, en passant par l'érotisme), la jeune lectrice (pleine de complexes comme l'on sait) peut se projeter sans danger, puisqu'aucun personnage féminin parfait (et donc intimidant quand on n'y ressemble pas - ce qui est le cas j'imagine de 99% de lectrices) ne vient s'immiscer.
Les personnages masculins présents dans le yaoi ne sont au final ni hommes ni femmes. Juste deux individus s'aimant. Chose importante à souligner : dans le shojo, non seulement les héroïnes parfaites et idéales peuvent à l'occasion complexer plus qu'inspirer, mais surtout elles répondent à des rôles attendus dans la société nippone. Non seulement sont-elles passives et dans l'attente de l'homme, mais aussi sont-elles affectées à des tâches précises (comme faire à manger). Puis, dans la relation sexuelle, elles sont objets plus qu'autre chose.

Dans le yaoi, le poids des règles sociales s'envole. En quelque sorte, le genre est un espace de girl power à fond. C'est certainement ce qui dérange alors la bonne morale, et surtout nous les hommes, peu habitués à devenir, à notre tour des objets sexuels. Clairement, c'est dans ce sens d'émancipation sociale, que le genre prend finalement son importance. De là, oui, messieurs, nous ne pouvons plus l'ignorer, nous avons perdu. Peut-être alors, cela est-il aussi symptômes de changements et de la nécessité d'inventer de nouvelles règles. Sur ce, je retourne à la cuisine, j'ai un truc sur le feu.
colville
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le 26 oct. 2011

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