Réinventer est redessiner : Histoire de la beauté du XVIeme au XIXeme siècle

L’éclosion de la beauté moderne coïncide avec l’émergence d’une philosophie du sujet, domestication, familiarisation de soi à soi. Sa naissance sous forme d’idéalité au début du XVIeme siècle se dévoilera progressivement, comme une philosophie d’appropriation de soi d’un corps. En d’autres termes, l’esthétique rejoint la perception de soi, et c’est progressivement, presqu’imperceptiblement, que le corps se révèle selon des structures, schémas, édifices intellectuels, constructions socio-culturelles, historicisées.


Au XVIeme on nomme embonpoint cet état de grâce entre entre grosseur et maigreur sans parvenir à décrire efficacement ce qu’est ce « je ne sais quoi » de gracieux, à la ressemblance de Dieu. La difficulté de la description s’accompagne souvent d’un flou sémantique. Toutefois, on peut noter la division effectuée entre parties hautes et parties basses, structurant verticalement le sujet. Cette révélation du découvert et du caché divise zones avilies et zones annoblies. Le regard est orienté par un code de la moralité. Légèreté et symétrie l’emportent. Mais tout le corps n’est pas encore révélé à soi.


L’évocation des yeux, du visage, évincent le corps comme ensemble. Comme un temple, les jambes sont autant de colonnades soutenant cette structure verticale qu’est la femme, à laquelle on prêtre des humeurs. Il y a une « difficulté à admettre l’imperfection morale de la femme sans remettre en cause l’oeuvre du créateur ». Le problème ne sera résolu que par la finesse dialectique des moralistes d’alors : La beauté extérieure serait le vrai signe de la beauté intérieure. L’excellence des traits suppose toutes les vertus. Mais d’où vient que certaines beautés s’accompagnent de méchanceté morale ?


Le moraliste distingue la beauté vertueuse des fausses beautés, « séditieuses » et « mignardes ». La vraie beauté, l’authentique beauté, est encore toute extérieure, hiératique. Sur les représentations picturales on ferme la bouche afin de masquer tout ce qui pourrait suggérer quelque intérieur vicié ou impudeur. Les catégories expressives de la modernité au-delà du trait apparaissent (retenue de Vinci). Et les couleurs sont moralisées : rossissement= pudeur; incarnat = honte; blancheur = vertu. On stigmatise la lourdeur, « la différence sociale s’imprime dans les formes mal dissimulées ». Or la beauté est unique et requiert l’évocation de traits définitifs. C’est l’impuissance du langage confronté à l’idée d’une forme absolue en raison de cette même idéalité, ce « moule de la perfection » que j’évoquais tantôt. Le parfait vient de l’idée.


Le XVIIeme va venir accélérer le processus d’artificialisation des apparences. Animation, charme et vivacité sont le miroir de l’âme à l’inverse de ou plutôt complémentaire avec cette beauté des formes. Passions, mouvements, émotions, deviennent prépondérants dans la bonne société aristocratique du XVIIeme siècle. Le gouvernement de soi participe d’un langage expressif, duquel résulte l’harmonie du dedans et du dehors. « Bonheur musculaire » (Fumaroli) préfigurant par certains aspects le siècle suivant, sans toutefois que la conscience ni de cette libre faculté du désir, ni des enjeux corporels ne soit encore bien établie, c’est-à-dire scientifiquement par la médecine.


On recherche la profondeur du regard, retour des yeux, mais cette fois afin de révéler l’expression profonde de l’être. Théâtralisation du social : L’esthétique ne peut plus être indépendante de l’expression. Géométrie de la toilette, le corrigé systématique, symétrie des poses et des tenues et importance accordée au teint. La verticalité laisse la place à la géométrie. Alors, l’artificialité est au beau fixe : on parlera de préciosité, bel air, maniérisme. Ainsi, le rouge du fard fait son apparition dans la palette cosmétique. Car un visage sans fard ne révèle rien d’autre que la misère de la chair, la vraie chair. Et le fard se pose en remède au pourrissement selon les moralistes d’alors.


Place au fugitif et à l’inattendu, aux perspectives révélant les profils oubliés. C’est le XVIIIeme siècle. Place au sentiment, à la sensibilité. Manière plus dégagée d’être et de bouger, dans une quête d’identité singulière. La beauté dépend désormais des moeurs, confinements, travaux. Sauvages et paysans sont érigés en modèles de santé, se substituant en tant que modèle plus actif à l’ancien modèle contemplatif, aristocratique. La ‘Liberté guidant le peuple’ est surtout la représentation d’un corps affranchi du corset (note personnelle). On fait du mouvement un signe de vigueur et de santé.


Le XIXeme siècle, quant à lui, recherche la simplicité des lignes. Le bas acquiert une place qu’il n’avait pas. Le femme occupe enfin l’espace public. Libertés nouvelles.


Il existerait une beauté volontaire et une beauté involontaire, plus précieuse. On voit apparaître les premières vedettes, ancêtres de nos mannequins, en Sarah Bernhardt. L’idéal n’est plus une donnée mais une conquête. Il pourrait s’inventer.


La démarche des parisiennes est une exception culturelle, permise par l’effervescence du pouvoir symbolisée par la capitale. Il y a les « lionnes « . Il y a les dandys. Révélation d’une fragilité, et dans le même geste, la femme trahit une force. Enfin, le corps s’observe et s’admire ou se dépite dans des armoires-glaces grandeur nature. C’est l’émergence d’un nouveau regard qui conditionnera tout le XXeme siècle.

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le 15 août 2023

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