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On le savait polyglotte et talentueux traducteur d'idées d'abord formulées en allemand (Lichtenberg) ou en chinois classique (on pense en particulier à ses précieux travaux sur Zhuang Zi). Jean François Billeter s’atèle dans ce petit essai à la traduction depuis le grec ancien des ‘Fragments’ d’Héraclite. Il en convient lui-même, il n’est pas helléniste de formation mais il a de beaux restes de ses leçons de lycée. La méthode éprouvée du sinologue fera le reste.

Notre traducteur le sait mieux que quiconque : une traduction est nécessairement orientée. Raison pour laquelle, dans le cas de l’œuvre orthonyme d’Héraclite, s’émanciper d’un ‘ordre parfaitement arbitraire’ - dont l’entérinement n’est dû à rien d’autre qu’à la tradition philologique -, est une initiative raisonnable. On peut en revanche émettre une première réserve quant au choix de Jean François Billeter de ne traduire que 56 des 126 ‘fragments’ connus. Une fois écarté un pan de l’œuvre, concilier l’œuvre et l’idée qu’on s’en fait devient plus commode. L’Ephésien, dans la présente traduction : ‘Les chiens aussi aboient contre ceux qu’ils ne reconnaissent pas’.

‘Le langage d’Héraclite n’a pas le caractère analytique du nôtre.’ Jean François Billeter est habitué à traduire des textes chinois qui présentent de semblables difficultés et a expliqué ailleurs (Quatre Essais sur la traduction, Contre François Jullien) qu’il faut parfois traduire un même terme chinois (le Tao par exemple) par différents mots selon le contexte donné 1) par la phrase, 2) par l’endroit du texte où s’insère la phrase. Je crois que Jean François Billeter voit souvent juste. Ainsi traduire kosmos ici par ‘la réalité’, là par ‘les mondes qui sont en nous’, permet de dégager un sens sinon une direction de fragments autrement sibyllins. Cependant, il n’est pas exclu que Jean François Billeter parfois se trompe (modeste et n’enterrant pas un travail une fois publié, il reconnaît volontiers que ses traductions sont des work-in-progress). Le danger est que sa plume n'erre alors à sa guise dans une langue grecque par trop malléable. Cela peut devenir problématique lorsqu’il tente de recoller des morceaux déjà incertains. Ne pas oublier que le contexte dans lequel s’insère un fragment (les fragments qui l’entourent) ne nous est pas connu. Par conséquent, en interprétant un mot d’une manière et en liant ensuite un fragment A à un autre fragment B dont le sujet est indéterminé (ils, il, etc.), on court le risque presque certain de tirer le texte dans un sens qui n’a jamais été le sien.

En résumé, Jean François Billeter fait sans doute de belles trouvailles et ouvre de nouvelles perspectives dans l’étude des Fragments (y compris à vous lecteur puisque les seuls bagages requis sont quelques souvenirs de grec des bancs d’école). Son interprétation globale de l’œuvre d’Héraclite ne m'aura par contre pas convaincu. Au fond, les fragments n’ont jamais été compris et semblent ne jamais devoir l’être : telles les sirènes d’Homère (si cher à Héraclite), ils prennent la forme qu’on voudra leurs donner et cachent leurs véritables natures. Si donc, tu voulais découvrir la pensée de Jean François Billeter, sache qu’il a écrit d’autres livres et qu’il n’a d’ordinaire pas besoin de l’autorité légendaire d’Héraclite pour faire passer ses propres idées. (Ci-dessous, on trouvera néanmoins un petit florilège du présent ouvrage.)

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‘Reconsidérer notre tradition philosophique dans son ensemble afin de faire la part de ce qu’elle nous a légué de précieux et de tout ce qui nous encombre sans que nous le sachions.’

La Note III et le Post-scriptum, qui portent tous deux sur Wittgenstein. Trop longues pour les réécrire ici mais pertinentes. On a assez enfermé Wittgenstein dans le carcan de la philosophie du langage ou bien dans celui de la philosophie analytique. En France en particulier, Jacques Bouveresse a beaucoup fait pour faire connaître sa pensée. Mais ce professeur d’université qui se méfiait des professeurs d’université n’en était pas moins un professeur d’université transportant avec lui systèmes, classifications et lunettes grossissantes. Un bien lourd appareillage pour l’observation.

Aragne-souriante
5

Créée

le 20 déc. 2023

Critique lue 12 fois

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