Je n'avais pas remis le nez dans un essai féministe depuis Sorcières de Mona Chollet il y a deux ans et cela fait longtemps que je voulais ouvrir ce Féminismes et pop culture qui promettait, sous sa couverture racoleuse pour le fan de Beyoncé que je suis, une plongée fascinante dans un univers aussi complexe et prometteur.

Premier fait accompli, devant lequel Jennifer Padjemi nous met dès les premières lignes de l'introduction : l'approche n'aura rien ici de scientifique, l'autrice étant journaliste et passionnée plutôt qu'anthropologue et experte. Cela se défend bien, puisque Mona Chollet elle-même, qui livre des bouquins passionnants, n'est pas diplômée en son domaine. Mais pour être honnête, je m'attendais précisément à découvrir un essai à la démarche scientifique et aux analyses académiques. Petite déception que la teneur de l'essai par la suite n'a cessé de confirmer : la définition des "féminismes" (embrassée ici de la manière la plus large possible, en englobant surtout l'ensemble des luttes intersectionnelles) et encore plus celle de "pop culture", les deux concepts phares du livre, sont approchées d'une manière très large et subjective. De fait, Jennifer Padjemi s'est attaquée aux sujets qui suscitaient son intérêt, interprétant avec latitude ses concepts. C'est à la fois réussi, parce que l'essai est sincère et très fouillé, et dommage, car cela ne correspondait pas à ce que j'attendais et que cette démarche laisse de fait de côté des pans entiers de la pop culture telle que je la conçois (véhiculés par les séries et les internets certes, mais aussi par les jeux-vidéos, les mangas, le cinéma, la BD... qui ne sont quasiment pas abordés). Les territoires où l'idée féministe peine encore à émerger (notamment dans la subculture Geek) n'attendaient que d'être explorés. La conclusion en demi-teinte de l'essai m'a aussi laissé sur ma faim, parce qu'en se contentant de dresser des listes d'exemples d' (in)visibilisations des enjeux féministes favorables ou défavorables selon les œuvres, l'essai ne conclut pas vraiment et s'épargne un peu une critique radicale du capitalisme et des rapports économiques de pouvoir que la pop culture médiatise, et surtout dont elle se nourrit ! - même si le sujet est abordé. En bref j'ai trouvé que dire "la pop culture est un phénomène neutre qui peut être aussi cool et utile que naze et dangereux", c'était un peu facile.

Par rapport à la BD Commando culotte de Mirion Malle que j'ai lue récemment et qui s'attaque au même sujet, l'approche de l'autrice est à la fois plus calibrée (avec des références plus connues et une approche plus sourcée) et moins pédagogique, Mirion Malle partant souvent de séries ou de films pour illustrer et décortiquer des phénomènes plus larges. Mais j'ai trouvé que la passion manifeste de Padjemi pour quelques séries, Grey's anatomy par exemple qu'elle réemploie à plusieurs reprises, resserre parfois trop le prisme de ses analyses. Là où les deux œuvres se rapprochent et se complètent cependant, c'est dans les mêmes messages forts qu'elles font passer : la quantité et la qualité des représentations des femmes et des minorités dans les œuvres culturelles est décisive à bien des égards. Pour les personnes concernées elles-mêmes, qui trouvent des modèles émancipateurs auxquels s'identifier, ce qui participe de la construction des identités minoritaires. Pour la société dans son ensemble en termes de visibilisation de leurs enjeux et de développement d'une appartenance sociale à un groupe. Politiquement enfin (et donc économiquement) pour faire émerger et servir de caisse de résonnance aux inégalités criantes dont elles sont victimes.

Il faut aussi reconnaître que ce livre se dévore avec beaucoup de curiosité et aborde de manière assez approfondie les thèmes de l'intersectionnalité et notamment celui de la cause des femmes noires. Plusieurs exemples abordés permettent de mieux me figurer (moi qui suis un homme blanc cis) le rôle auquel on relègue bien souvent les femmes noires dans les représentations télévisuelles. Il ne m'aura pas fallu deux films ce weekend pour voir cet enjeu avec un œil nouveau : une preuve s'il en fallait que si Féminismes et pop culture n'est pas parfait, son autrice m'a donné plus d'une leçon.

Fwankifaël
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le 12 févr. 2024

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