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Un soir, dans les couloirs du Théâtre Impérial, la belle Komayo rencontre monsieur Yoshioka avec qui elle entretenait une relation suivie du temps où elle exerçait comme geisha. L’intrigue se passe dans ce qu’on nomme « le monde flottant des acteurs et des geisha». Komayo avait abandonné le métier pendant sept ans, pour suivre en Akita son protecteur qui avait racheté ses dettes afin de se l’attacher de façon exclusive. Quelques années plus tard, Komayo perd son mari. Ne voulant pas rester avec la famille du défunt où elle n’aurait rien pu faire de sa vie et n’ayant plus de lien avec sa propre famille, Komayo choisit de revenir à Tokyo dans la maison de geisha de Shimbashi où elle a tout appris : rentrée en apprentissage à 14 ans, admise dans les banquets à 16 ans pour servir et rachetée à 19 ans, elle en a 25-26 quand elle retrouve M. Yoshioka. Elle a gagné en maturité mais rien perdu de son charme, bien au contraire. M. Yoshioka cherche immédiatement à renouer. Comment Komayo pourra-t-elle ménager les uns et les autres en fonction des multiples sollicitations, tout en gardant en tête ses propres intérêts ?


A partir de cette situation, Nagai Kafū tisse une intrigue où tous les jeux de séduction et de pouvoirs s’entremêlent. On observe la vie dans ces maisons où exercent les geishas, leurs lieux de rendez-vous. Ce sont généralement des maisons de thé, parfois des résidences un peu à l’écart pour plus de discrétion. L’intrigue est centrée sur un petit quartier où il faut posséder de l’argent pour tenir son rang : vêtements, loyers, frais de réceptions, etc.


Komayo exerce comme geisha traditionnelle, avec tout le personnel et l’organisation matérielle qui gravite autour de sa fonction. La séduction physique ne suffit pas, être geisha nécessite un long apprentissage qui va des manières à la pratique des arts. Ainsi, Komayo est danseuse et chanteuse pour des spectacles traditionnels. Elle s’apprête à se produire au Théâtre Impérial.


Le métier de geisha n’est pas du tout idéalisé par l’auteur. Pour beaucoup de jeunes filles, il représente un moyen pour s’en sortir dans la vie (tout l’apparat qui l’accompagne peut les séduire). Mais, en situation, elles doivent répondre à toutes les demandes et se retrouvent parfois violentées (situation pas du tout éludée ici). Ce que montre l’auteur, c’est la complexité des rapports hommes/femmes dans la frange aisée de la société japonaise de l’époque (début du XXe siècle). Sachant que tout ce qu’il décrit tend à disparaître, il se garde de trop accentuer la nostalgie, tout miser sur l’esthétique et minimiser les travers des codes de cette société. Au centre de l’intrigue, on trouve la difficulté à entretenir une relation sur la durée. Les rapports humains sont ainsi passés au crible, avec toutes sortes de caractères et de situations. Même s’il fait sentir au passage les constantes de comportements et de défauts, il le fait aussi bien pour les hommes que pour les femmes. La recherche de plaisirs (sensuels, esthétiques, possession, puissance, etc.) ne fait pas négliger les sentiments. Kafu n’oublie jamais que dans le milieu qu’il décrit, la donne est faussée à la base par la vénalité (subie par les unes et exploitée par les autres). Séduction, bavardages, faux-semblants, rivalités, trahisons, vengeances, jalousie, déceptions et joies enrichissent une intrigue à rebondissements.


Les griefs des hommes peuvent se résumer par cette remarque « En réalité, je me demande pourquoi toutes les femmes en général sont si calculatrices. Pour le moindre petit service rendu, elles vous rappellent sans fin que vous êtes leur obligé. » Ceux des femmes « Dès qu’il aurait trouvé une bonne remplaçante, il se proposait de rompre avec Komayo ; et s’il n’était pas pour le moment, question de couper net, il voulait veiller à ce que leurs relations ne s’approfondissent pas plus : en effet, Komayo semblait déjà passablement endettée, et il ne fallait pas que, se liant encore plus intimement avec elle pendant les six mois ou l’année à venir, il se retrouve un jour contraint de s’en charger de gré ou de force, comme épouse. »


Au chapitre des déceptions, l’auteur se montre assez peu à l’aise dans les dialogues et ses chapitres manquent parfois de l’enchainement naturel qu’on pourrait attendre. De plus, certains personnages finissent malheureusement oubliés par la narration, alors qu’on aimerait les retrouver (Kikuchiyo, qui travaille dans la même maison que Komayo), alors que d’autres apportent peu (Yamai, qualifié de « Verlaine japonais » ivrogne invétéré, bavard et un peu envahissant), dans une galerie de personnages très complète. N’oublions pas que Kafū écrit en héritier d’une longue tradition. Même s’il fait preuve d’originalité et de talent, il garde à l’esprit ce que ses aînés ont apporté avant lui et ce que ses lecteurs recherchent dans une œuvre littéraire japonaise. On trouve cette influence dans les nombreux proverbes qu’il cite. Exemple amusant parce qu’il a son équivalent en français « Une grenouille ne peut engendrer qu’une grenouille. »


La réputation de ce roman tient donc à la richesse de la description du milieu où l’intrigue se situe. Parmi les passages mémorables, malgré de belles descriptions de tenues qui apportent de la subtilité, mon choix se porte sans la moindre hésitation sur un extrait trop long à retranscrire ici dans son intégralité, puisqu’il court sur deux bonnes pages (sur les 223 de l’édition de poche) :


« Si l’on énumérait les qualités et les capacités de Kikuchiyo, il fallait citer en premier lieu la blancheur de sa peau. Même s’il existait des japonaises à la peau blanche, il était rare de trouver cette nuance de rose pâle qui donnait à tout son corps une aura ineffable. Son deuxième point fort était la texture de sa chair. Ce qui se cachait sous la dénomination vulgaire de « corpulence à peau de brioche » c’était en fait une chair idéalement dodue ni trop tendre ni trop dure, d’une élasticité extrêmement délicate et tellement satinée qu’elle adhérait étroitement sans laisser le moindre interstice au corps de l’homme qui l’étreignait. Aux endroits habituellement osseux comme la gorge, les côtes ou les épaules, elle était délicieusement et judicieusement replète mais comme, dans l’ensemble elle était de petite taille et que de plus elle ne restait pas un instant en place, au risque de provoquer le tournis, son embonpoint n’avait rien à voir avec celui des grandes femmes corpulentes qui donnait une impression pénible de lourdeur. Sur les genoux, elle ne pesait pas plus qu’une plume, dans les bras, on pouvait l’emprisonner sans encombre. Quand on la mettait à cheval sur un genou, ses seins rebondis venaient se coller en fourmillant sur la poitrine de l’homme ; ses fesses rondes comme des balles de caoutchouc s’emboitaient exactement dans les cuisses que l’on refermait ; l’intérieur de ses cuisses, doux comme de la soie, s’enroulait autour de l’homme de la hanche au bas des côtes à la manière d’un édredon de plumes. Quand on l’enlaçait de côté, ce corps menu se lovait sans façons en boule dans les bras de l’homme mais la peau en était si lisse, qu’à chaque étreinte, on avait l’impression qu’il allait s’échapper en glissant. Ne pouvant le retenir de ses seuls bras, l’homme se courbait comme une crevette pour le maintenir du haut de ses deux cuisses : cette Kikuchiyo indescriptible se mettait alors à fondre comme une sucrerie sous le ventre de l’homme et semblait se liquéfier entre ses jambes, coulant de sa hanche jusqu’à son dos. »


Description d’un esthète, amoureux des femmes, particulièrement inspiré quand il s’agit d’en mettre une en valeur et d’aller jusqu’à une certaine ivresse des mots pour évoquer les possibilités sensuelles qu’elle suscite.

Electron
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le 28 nov. 2021

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