Il n’est pas facile de donner un avis sur ce livre. En effet, ce n’est pas une critique qu’il faut faire mais bien trois : l’une pour cette préface pamphlétaire signée Onfray, l’une pour le travail de commentaire et traduction de Baldacchino, l’autre pour le texte même de Diogène de Sinope … Commençons donc par la fin et remettons ensuite le fil.


Le texte en lui-même n’est pas si inédit que cela (et on verra que c’est doublement vrai). En effet, plusieurs fragments sont déjà connus par les traditions grecques là où d’autres sont des variantes des mêmes témoignages et anecdotes. Pour autant, ne boudons pas notre plaisir : tout nouveau texte est un plaisir à prendre. Surtout quelques textes sont réellement et pleinement inédits et 23 siècles plus tard, il nous faut tout prendre avec avarice tant cela est rare pour nous.
Bien entendu, les fragments sont des anecdotes sur le célèbre cynique. On retrouve la pensée cynique dans son aspect le plus concret et quotidien. Bien entendu, on remarquera parfois des légères indications du contexte de transmission islamique (mais moins que Onfray ne le pense). Surtout, on arrivera même à avoir quelques pistes de réflexions nouvelles que l’on ne possédait pas jusque là avec les précédents textes sur Diogène.


Pour autant, ces fragments sont-ils inédits ?
Ils ont déjà été publiés en France, mais dans une traduction anglaise, celle de Dimitri Gutas, chercheur américain qui a découvert ses fragments arabes pour les faire paraître en anglais dans les années 90. On n’a donc pas une réelle découverte, contrairement à ce que Michel Onfray prétend dans sa préface (et Adeline Baldacchino est bien plus réservée justement). On n’a pas non plus la preuve que vraiment les universitaires ne servent à rien et que ce sont les jeunes femmes non chercheuses qui trouvent tout (encore une fois c’est le propos d’Onfray). Adeline Baldacchino n’a eu connaissance de ses fragments que grâce à des universitaires : Gutas qui a fait le travail de recherche, le couple Goulet-Cazé qui a organisé le colloque sur les cyniques puis a publié les différentes conférences.
Enfin, et là est peut être le plus grand drame : le texte n’est pas une traduction des fragments originaux (en arabe donc) mais bien la traduction en français de la traduction anglaise de Gutas, sans contrôle du texte original précise Baldacchino. Dès lors, la valeur de la traduction est quasi-nulle.
On ne peut que regretter cela. Certes, on a des textes qui peuvent être à peu près clairs pour le grand public, mais qui souffrent quand même d’un franc manque de rigueur dans la traduction et la méthode employée.


Le pire étant qu’une partie du commentaire, la plus belle partie, cela va sans dire, est la traduction directe du commentaire de Gutas. Dès lors, entre sa traduction et son commentaire, en réalité, nous lisons du Gutas traduit en français sans s’assumer en couverture, avec en plus des commentaires égocentriques et bien inférieurs.
De ce fait, on peut déjà être un peu triste de voir qu’en réalité l’ouvrage n’est dans le plus important qu’une prise en français qui ne s’assume pas assez d’un travail anglophone. Outre cela, que propose Adeline Baldacchino ? Elle nous raconte sa découverte avec ce texte, comment elle a travaillé, comment elle imagine les choses. Elle tente de recontextualiser avec une maîtrise franchement relative du sujet (le détail n’est pas connu et on est face à une présentation bien sommaire du cynisme héritée la conception qu’Onfray en a). Il suffit de voir la bibliographie pour comprendre la limite. A part les actes du colloque mentionné plus haut, aucun livre de Goulet-Cazé (experte reconnue sur le sujet) ni d’Husson et encore moins de Brancacci… On comprend donc le travail superficiel, celui qui se fait en quelques semaines et pense égaler ceux qui ont voué leur vie à ce sujet.
On a le droit à un récit qui se veut intense mais est presque ridicule tant il représente la personne qui pense vivre une aventure en faisant ce que font tous les chercheurs exactement tous les jours …


Ces mêmes chercheurs qu’Onfray critique à outrance dans son introduction de manière bien faible et sans philosophie : les chercheurs sont des nazes, surpayés pour ne rien produire, rien faire, et seuls les jeunes non-chercheurs peuvent trouver quelque chose.
Onfray oublie que son manque de rigueur de chercheur (le même que Baldacchino revendique, en disant par exemple ne pas avoir besoin de « preuve écrite » mais se faisant juste à une intuition) est ce qui fait qu’il ne connaît pas le cynisme ni le cyrénaïsme sur lesquels il écrit pourtant tant.
Onfray qui oublie que ce livre n’existe que grâce aux universitaires, qui omet qu’un salaire d’un chercheur en début de carrière est en-dessous du salaire médian. En somme, on retrouve la vieille rengaine : les profs sont des fainéants surpayés oubliant qu’en réalité il y a un énorme travail d’abnégation.
Dégoulinante de haine, d’insulte (ramenant la question de la vie sexuelle des chercheurs, c’est vous dire le niveau philosophique), cette préface raconte un mythe sur ce livre le rendant autre qu’il est, le rendant plus prétentieux que Baldacchino ne le veux.


Entre l’ignorance de l’un et la naïveté sans exigence méthodologique de l’autre, on pourrait craindre le pire. Pourtant je reconnais volontiers un point à Onfray et deux à Baldacchino :
1) Les textes n’étaient pas disponibles en français. Peut être moins à cause des universitaires eux-mêmes qu’aux maisons d’édition et aux structures de culture qui font que peu de chercheurs s’intéressent à ce sujet en France.
2) Ce livre est accessible et populaire. Accessible pour le très grand public, certes, mais populaire au sens où grâce à la célébrité d’Onfray et son rayonnement médiatique et éditorial, il a pu permettre à ces fragments d’être lus par un grand nombre. Cela est indéniable et permet donc de contre-carrer le point 1, montrant une belle évolution.
3) Le but de Baldacchino, elle le répète souvent est de pousser des gens à s’intéresser, à vouloir creuser. Elle espère que le côté « grand public » permettra de développer ce domaine, voir de vaincre certains de ses propres défauts qu’elle reconnaît. Là aussi, elle n’a pas tord : ce sujet peut obtenir par sa place gagnée un aspect des plus motivants.


Oui, ce défaut a énormément de défauts. Mais dans le fond, je peux pardonner à Baldacchino une bonne partie de ceux-ci car elle réalise son but : rendre plus accessible un texte de Diogène, de manière cynique au sens contemporain et non antique, mais bon …

mavhoc
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le 8 mars 2020

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